Jour de vent au Grand Castélou (Narbonne)

Jour de vent au Grand Castélou (Narbonne)

 

C’était un jour de vent

Un vent à décorner les bœufs

Un vent à plier les roseaux,

Un vent à tordre les saules

Un vent à chasser les moustiques

Un vent à pousser les nuages

Un vent à faire danser les feuillages

Un vent à brasser les eaux de l’étang

Une classe d’enfants en rang serré.

Une demi-douzaine de chevaux alignés, dos au vent.

Quelques couples de papillons voletants péniblement.

Tous bravant le tempétueux élément, autrefois honoré pour assainir l’air de ces terres marécageuses.

Les silhouettes penchées des vieux arbres d’alignement, platanes en sursis ou saules têtards vénérables, nous disent que l’épisode n’est pas rare.

Le puissant Cerf qui vient de l’ouest pour se ruer vers la Méditerranée souffle en moyenne 175 jours par an à Narbonne, avec des pointes allant jusqu’à 191km/h … le record national en 2017.

Cerf ou Marin, le vent fait parti du paysage. Tout comme l’eau ou le sel, il le structure.

Pour exploiter ces terres, faire du maraichage, y cultiver de la vigne, l’homme a du composer avec son environnement.

Quelques haies arborées, où poussent des peupliers blancs, des ormes, des frênes, suivent les canaux et fossés de drainage. Elles bordent les parcelles, renforçant le quadrillage rigoureux du domaine, ponctué de martelières.

Passés les près de fauche, nous débouchons sur le Canalou qui nous invite à le suivre.

Ce petit canal conduit tranquillement les eaux douces de la Robine vers l’étang de Bages et Sigean.

Il nous offre un moment de calme, comme entre parenthèses.

Au loin les piaillements de la héronnière dans les grands arbres.

A nos pieds, une explosion de floraisons printanières attire notre attention sur le foisonnement des plantes adventices.

Nous touchons du doigt, au sens propre comme au sens figuré, ce que signifie le mot « biodiversité ».

Rien de très rare, mais que de vie à portée de main !

Des plantes volubiles et graciles.

Des feuillages larges et tendres, gourmands en eau douce.

La jolie petite Aristoloche clématite (Aristolochia clematis) dont les stolons fixent les berges, nous guide sur le chemin, tout comme l’exubérant houblon (Humulus lupulus) ou le grand liseron des haies (Calystegia sepium).

Cerfeuil sauvage aux fines inflorescences blanches parsemées du bleu violacé des Vesces craques (Vicia cracca), Cabaret des oiseaux (Dipsacus fullonum),Grande bardane(Arctium lappa)tout un cortège végétal  qui témoigne de sols engorgés en matière organique, y compris l’Ortie (Urtica sp.) qui fleurie discrètement, un peu caché au milieu d’une telle affluence.

Seule une coulée de ragondin, le castor des marais (Myocastor coypus), fait une trouée dans cette masse végétale.

Trois cent mètres après, nous laissons à main gauche le chemin de Tournebelle, Torne veles, où tournent les voiles, qui dessine le golfe antique du même nom.

D’imposants figuiers (Ficus carica), arbres civilisateurs si l’en est, et quelques sureaux délicats (Sambucus nigra) nous plongent dans un paysage familier, un paysage nourricier, autant pour les hommes que pour les oiseaux.

Nouveau virage à 90°…

Nous pénétrons alors dans le domaine du sel.

Le paysage change et les mots pour le dire avec.

Près-salés, sansouïre, enganes, roselière, sénilhade, palud, salins…

On pressent qu’il va falloir être vigilant pour en comprendre le fonctionnement, et en saisir les secrets.

Les halophytes et halophiles qui le peuplent sont adaptées à vivre dans les milieux salés et ventés.

Aujourd’hui, les sagnes (Phragmites australis) de la roselière ondulent au grès des rafales.

On peut voir ici quelques espèces rares comme le butor étoilé, héron discret mais dont le cri sourd hante les marais, ou le busard des roseaux, prédateur indispensable à l’équilibre écologique.

C’est un lieu parfait pour observer discrètement les oiseaux.

Tout comme la sansouïre, où les soudes (Salsola sp. – syn. Sueda sp.) et les salicornes (Salicornia sp), ramassés sur elles même, comme pelotonnées, ne donnent aucune prise au vent.

Leurs feuillages coriaces et les ports compacts contrastent fortement avec l’exubérance de la végétation qui borde le Canalou.

Une lutte contre le sel est ici engagée.

Certes grâce aux martelières, les apports d’eaux douces dans les milieux salés permettent d’en réguler la concentration.

Mais vents et soleil, en asséchant les terres, en brassant les eaux, sont les vrais maitres du jeu.

Dans un environnement où tout est mouvant, la recherche du point d’équilibre entre salinité et salure nécessite pour la végétation de constants ajustements.

Les camaïeux de verts des salicornes, du sombre au plus clair, virant souvent au rouge en été, en dévoilent la teneur.

La saladelle (Limonium sp.) qui pousse sur les bords du chemin et commence à déployer ses grandes inflorescences d’un beau bleu-violacé, semble cependant encore profiter des pluies printanières. Plus tard, dans l’été, on pourra observer de fins cristaux de chlorure de sodium exsudés sous ses feuilles pour se débarrasser du sel en excès.

Absorbé par autant de témoignages du génie naturel, la tête dans les feuillages, il faut bien finir par se relever.

On change alors d’échelle

Le paysage si plat qui se déploie devant nous, s’ouvre sur des horizons lointains aux reliefs accidentés quinous font comprendre d’un seul coup d’œil dans quelle géographie le territoire se situe. A l’est les collines calcaires du massif de la Clape, à l’opposé le village de Bages perché sur son éperon rocheux, plus loin au sud le mythique Canigo…

Impossible de quitter le site sans aller voir de plus près l’étang qui le borde, que l’on devine sans jamais vraiment le voir.

Caché derrière un alignement de tamaris (Tamaris gallica), pas très haut pourtant, au bout d’un long chemin en plein vent, il se mérite.

Nous parcourons alors un kilomètre à un rythme imposé par les bourrasques du Cerf, lentement, concentrés sur notre marche, mais aussi conscients que nous remontons par la même occasion le cours du temps.

Au bout du chemin, juste avant l’étang, la Chaussée de Mandirac…

Associé à ce nom, le souvenir des aménagements antiques de l’embouchure d’un ancien bras du fleuve Aude, autrefois Atax. Un port canal d’une cinquantaine de mètres de large, des quais de déchargement, installés là pendant quatre siècles, au début de notre ère.

On rentre ici de plain-pied dans l’Histoire, histoire antique du site mais aussi histoire de la Narbonnaise.

Cette terre, réputée ferme, eut toujours, en réalité, des contours fluctuants qui continuent de l’être, modelés par des siècles d’atterrissements des sédiments de l’Aude, de crues, de tempêtes régulières, de houles, mers de vent et courants quotidiens.

Mobilité du fleuve, des rivages, des lagunes… et malgré ce les efforts répétés des hommes pour s’y fixer et en assurer la stabilité, depuis plus de 2000 ans…

Si la chaussée de Mandirac n’est plus qu’un souvenir, brièvement exhumée par les archéologues avant d’être re-enfouie, l’étang lui est bien là.

En le découvrant un autre voyage s’offre à nous.

Pour un autre jour…

 

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