Mise en valeur des jardins de la Fondation Camargo – Cassis, (13) en cours


Le jardin de la fondation Camargo tire parti de la situation exceptionnelle du site, face à l’horizon marin dominé par les falaises du Cap Canaille et dominant le port de Cassis. Lieu d’inspiration artistique, imprégné de la présence de Jérome Hill, le site frappe d’abord par sa situation de belvédère sur la mer. Ancien poste d’artillerie, sa position est idéalement choisie pour son angle visuel sur le large, et l’amphithéâtre, ainsi que les différentes terrasses. Sous le couvert des grands pins, pousse une palette végétale hétéroclite où se mêlent des références à des registres de jardins différents qui évoquent tour à tour les calanques, les jardins exotiques de la côte d’azur et les jardins résidentiels plus récents

La commande affirme la volonté de faire de ces jardins, une véritable invitation au voyage, un lieu de création, proposer des espaces de pleine inspiration aux résidents. Il s’agit de construire pour l’ensemble du jardin un fil narratif qui va lui donner une cohérence.

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Faire jardin à la fondation Camargo

Il y a peu de temps, Camargo était sur le rocher. La pierre nue.

La Lèque avec sa racine lek, la pierre, la pierre plate, en éventail, ne dit pas autre chose.

En un peu moins d’un siècle pourtant, le pin d’Alep (Pinus halepensis) s’y est installé, favorisé par l’homme et aujourd’hui, le jardin de la mer de la fondation Camargo est dominé par ses frondaisons.

Deuxpinèdes, l’une à proximité du réservoir à eau, l’autre autour de la Batterie, offrent une ombre légère et salutaire créant du lien entre les différents espaces du site. Ces arbres qui restent verts en toute saison, comme la majorité des essences méditerranéennes du jardin, cyprès, filaire, lentisque, laurier-tin, alaterne, chêne vert, olivier, voire même les luzernes en arbre ou les pittosporums, garantissent la pérennité des ambiances du jardin tout au long de l’année.

Cependant le rapport entre surfaces minérales et surfaces végétales est resté nettement en faveur du minéral. Lavégétation semble s’être installée là comme par effraction plus qu’en réponse à une attention jardinière que l’on peine à identifier. Le rocher couvert de « garrigue » au pied de l’amphithéâtre en est certainement l’emblème.

L’organisation de l’espace, quant-à-lui, se lit essentiellement au travers des usages. C’est un assemblage de lieux de vie extérieurs, agencés en prolongement des lieux de vie intérieurs, via leurs terrasses, juxtaposés à la faveur des points de vue qu’ils offrent. Seule exception à cette organisation : l’imposant amphithéâtre dont on aurait pu croire que, par sa position centrale, il serait le pivot des circulations, une rotule à partir de laquelle s’articulent les autres espaces. Mais non.

Le « jardin de la mer » de la fondation Camargo est donc composé de motifs distincts, où l’on accède au détour des divers chemins, sans hiérarchie entre eux, s’ouvrant sur tous les possibles.

Ce constat éclaire d’un jour particulier la phrase de Jonas Mekas à propos de l’œuvre artistique de Jérôme Hill :

Exploded with little bursts of ecstasies, une explosion d’éclat d’extase…

Se révèle ici l’esprit de l’artiste. Un homme fasciné par les drapés et les zigzags, les sillons et les méandres[1]. Un homme qui adorait collectionner, rassembler, et garder ces choses séparées, chacune à sa place.[2]

De la même manière, de multiples portes permettent d’entrer dans Camargo, mais aucun seuil n’est vraiment matérialisé pour signifier que l’on change de monde.

L’entrée principale du jardin de la mer est dédiée aux véhicules et aménagée en conséquence. Dotée d’un lourd portail automatisé, ouvrant sur un parvis fonctionnel, impersonnel, mer de pavés autobloquants d’où émerge un platane à l’agonie.

C’est en longeant les murs d’un étroit passage ombragé, presque un sillon, que les visiteurs et le personnel de la fondation entrent officiellement. Aspirés par le point de vue sur la mer, les néo-visiteurs découvrent alors presque par hasard le seuil de la terrasse du réservoir à eau, et un peu plus bas la terrasse chinoise qui domine le port, ou encore la minuscule terrasse escarpée au pied de Pierrefroide. Mais par quel méandre arrive-t-on sur la petite terrasse de la Lèque, abritée des regards ? Par où accède-t-on à la terrasse historique de la Batterie ? à celle de la « mère et l’enfant », la terrasse Louisette, en surplomb de la plage ? Les réponses ne semblent s’obtenir qu’au grès de l’inspiration d’un moment.

Si dans ce contexte, la tentation eut-été à priori grande deréorganiser les flux et les espaces de distribution sur le site pour les hiérarchiser, le diagnostic nous conduit à affirmer au contraire la juxtaposition qui fait de Camargo un site singulier, ordonné par son rapport à la vue, offerte ou cachée, aux horizons lointains ou à l’intimité préservée, dans des ambiances méditerranéennes où la confrontation entre le minéral et une végétation dites « sauvage », frugale, n’est pas sans rapport avec le Cap Canaille qui lui fait face.

Ici, les écrits de Ferdinand Bac au début du XXe siècle trouvent tout leur sens :

En travaillant avec cette sensibilité méditerranéenne nous avons essayé aussi de mettre d’accord les lignes avec le paysage ; d’ouvrir les regards sur lui, de chercher la complémentaire de cette grisaille argentée et frémissante qui couvre les contreforts des chutes alpestres. En restituant à ce pays sa flore naturelle, ses cyprès, ses pins parasols, ses lauriers, ses chênes verts, j’ai essayé de rendre à l’architecture son complément naturel, le décor dans lequel si longtemps elle avait prospéré et trouvé sa raison d’être en face du Monde. [3]

Véronique Mure

31 janvier 2021

[1]Catalogue de l’exposition Edward Weston, la donation Jerome Hill. Rencontres photographiques,Arles

[2]Mary Ann Caws, Jerome Hill: Living the Arts. The Jerome Foundation, 2005

[3]Ferdinand Bac (1918 – 1927).

 

Making a garden at the Camargo Foundation

Not long ago, Camargo was on the rock. The bare rock.

La Lèque, with its root lek – the stone, the at stone, fanned out – says as much.

In a little less than a century, however, the Aleppo pine (Pinus halepensis) has settled there, favored by man, and today the Camargo Foundation’s seaside garden is dominated by its foliage.

Two pine groves, one near the water reservoir, the other around La Batterie, provide a light and salutary shade, creating a link between the di erent areas of the site. These trees, which remain green in
all seasons, like the majority of the Mediterranean species in the garden – cypress, laria, lentisk, laurel, buckthorn, holm oak, olive, and even alfalfa and pittosporums – guarantee the garden’s perennial atmosphere throughout the year.

However, the ratio between mineral and vegetal surfaces has remained clearly in favor of the mineral. The vegetation seems to have settled there as if by break-in rather than in response to a gardening intention that is di cult to identify. The rock covered with “garrigue” at the foot of the amphitheater is certainly emblematic of this.

As for the organization of the space, it can be read essentially through the uses. It is an assembly of exterior living spaces, arranged as an extension of interior living spaces, via their terraces, juxtaposed in favor of the views they o er. The only exception to this organization is the imposing amphitheater, whose central position might have led one to believe that it would be the pivot of the circulation, a joint from which the other spaces are articulated. But no.

The “garden of the sea” of the Camargo Foundation is thus composed of distinct motifs, which can be accessed through various paths, without hierarchy between them, open to all possibilities.

This observation sheds a special light on Jonas Mekas’ phrase about Jerome Hill’s artistic work: Exploded with little bursts of ecstasies.

The spirit of the artist is revealed here. A man fascinated by folds and zigzags, furrows and meanders. A man who loved to collect, gather, and keep these things separate, each in its place.

In the same way, multiple doors allow one to enter Camargo, but there is no material threshold that really lets one know that one is entering another world.

The main entrance of the seaside garden is dedicated to vehicles and arranged accordingly. Equipped with a heavy automated gate, opening onto a functional, impersonal square, a sea of interlocking paving stones from which emerges a dying plane tree.

It is by walking along the walls of a narrow shaded passage, almost a furrow, that the visitors and the sta of the foundation o cially enter. Drawn by the view of the sea, the new visitors then discover almost by chance the threshold of the water tank terrace, and a little further down the Chinese Terrace overlooking the harbor, or the tiny steep terrace at the foot of Pierrefroide. But by which meander does one arrive at the small terrace of La Lèque, sheltered from view? How does one get to the historic terrace of La Batterie? Or to the terrace of the “mother and child,” the Louisette terrace, overlooking the beach? The answers seem to come only from a moment’s inspiration.

While in this context there might have been a great temptation to reorganize the ows and the distribution spaces on the site in order
to prioritize them, this survey leads us to a rm, on the contrary, the juxtaposition that makes Camargo a singular site: it is organized in relation to the view, open or hidden, with distant horizons or preserved intimacy, in Mediterranean atmospheres where the confrontation between the mineral and a vegetation deemed “wild,” and frugal, is not unrelated to the Cap Canaille that faces it.

Here, the writings of Ferdinand Bac at the beginning of the 20th century nd their full meaning:

Working with this Mediterranean sensibility, we also tried to make the lines t the landscape, to open the eyes to it, to seek the complement of this silver and quivering grayness that covers
the foothills of the Alps. By restoring to this country its natural ora, its cypresses, its umbrella pines, its laurels, its holm oaks, I tried to give back to the architecture its natural complement, the setting in which for so long it had ourished and found its raison d’être in front of the World.

Véronique Mure January 31, 2021

 

Maitre d’ouvrage Fondation Camargo

Surface: 6000 m2

Statut de protection : sans 

Groupement :COLOCO (Paysagistes),Véronique MURE (Botaniste)


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