De friche horticole à parc public : un paysage vivant en cœur de ville

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De friche horticole à parc public : un paysage vivant en cœur de ville

Une pépinière urbaine transformée en parc public, entre patrimoine horticole, biodiversité, eau et adaptation climatique.

À Nîmes, 14 hectares hérités d’une grande pépinière familiale racontent plus d’un siècle de culture des plantes, puis vingt ans d’abandon, de foisonnement et de résilience. Aujourd’hui, le défi est immense : transformer ce paysage productif en parc public, sans effacer son histoire ni malmener les arbres, les sols et l’eau.

Un projet qui interroge notre manière d’habiter le vivant en ville — avec patience, mémoire et humilité.

Mots clefs : Pépinière historique, Friche horticole, Patrimoine vivant, Parc public, Paysage en transition, Habitabilité partagée, Biodiversité spontanée, Gestion de l’eau, Nature en ville, Temps long du paysage

Il n’est pas fréquent, voire même il est très rare pour un paysagiste d’intervenir dans une friche horticole, de surcroît sur 14 hectares en cœur de ville. Il faut alors trouver la bonne mesure pour créer les conditions d’une habitabilité partagée, entre humain, faune et flore et tous les Vivants, maintenir une diversité, renforcées par des années d’abandon, sans fermer les yeux sur les conditions de vie des arbres, « cultivés » à l’origine pour être vendus, tous en rang, serrés comme des sardines en boite, et pour beaucoup les racines toujours contraintes dans des containers enterrés, même si elles s’en sont depuis longtemps échappés en partie, sans parler des impacts des nombreux incendies allumés au cours de l’été 2025.

Pour comprendre de quoi l’on parle et vers où l’on va, il faut certainement revenir un instant à l’histoire de la pépinière et de son créateur Ernest Pichon.

C’est dans un contexte favorable pour l’horticulture, au plan local comme au plan national, qu’Ernest Pichon, installe son activité en 1885, à Nîmes, à proximité de la nouvelle route d’Arles. Il est tout récemment revenu au « pays », ayant quitté Golfe-Juan où il était le chef de cultures du célèbre château Robert. Il commence par louer des terres à Madame Reboulet, fille d’un négociant en vin. Les premières acquisitions ne commenceront qu’en 1923. Fort de son expérience sur la Côte d’Azur et de ses liens avec la Bambouseraie de Prafrance, il deviendra un des spécialistes des palmiers et autres plantes exotiques sur la région. Sa clientèle est alors importante, venant parfois de loin.

Au-delà de l’activité de production et d’aménagement de jardin, Ernest Pichon développe une activité plus locale de « décoration » intérieure pour la gare toute proche, les cinémas, les églises, les mariages…

A partir de 1900, Alphonse-Louis Pichon s’associe à son père, Ernest. L’établissement d’Horticulture et d’Arboriculture devient alors « Pichon père & fils », comme en témoigne le papier à entête de l’entreprise.

Alphonse-Louis avait fait ses études à l’École Nationale d’Horticulture à Versailles. Doué pour le dessin, il reçoit en 1903 un diplôme d’honneur pour ses plans de jardin.  Il développe des activités de conseils, notamment avec la société des chemins de fer toute proche.

Trois ans après le décès d’Ernest, c’est au tout de son petit-fils, Maurice Pichon, de reprendre le flambeau de l’entreprise. On est en 1940, au sortir de la guerre. Maurice avait fait ses armes dans les établissements Truffaut au Chesnay. Non seulement Il y avait acquis des compétences pour la suite de sa carrière, mais il y avait côtoyé les grands noms de l’horticulture, comme Georges Delbart « acheteur » chez Truffaut. C’est certainement ce bagage tant pratique que relationnel qui le conduira à être président des pépiniéristes du Gard.  Il décède en 1989.

Après la cessation de l’activité de la pépinière dans les années 2000, seule l’entreprise de paysage et travaux de jardins, créé en 1976 par Michel Pichon, deuxième des dix enfants de Maurice, perdurera sur le site.

Revenons à la pépinière

La propriété atteint 8ha au début du XXe siècle.

La pépinière se développe sur plus d’un kilomètre en suivant les méandres du Vistre de la fontaine. Elle est dotée d’une terre alluviale riche doublée d’un accès à la nappe phréatique affleurante[1], facilitant l’irrigation des cultures. De nombreux forages et pompes maillent les parcelles, complétés par un système d’irrigation à la raie et par submersion. L’eau pouvait noyer les cultures pendant des mois.

La pépinière s’organisait alors autour plusieurs activités :

  • Une pépinière générale (Horti-colnem) au 45 de la rue tour de l’Evêque
  • Un établissement floral avec serres au 18 boulevard Natoire.

Activités également en lien avec celle de l’entreprise de « création et entretien de parcs et jardins » ainsi que d’une boutique de vente de graines et de fruits en centre-ville, à l’origine rue Régale, à l’angle de la rue des Chapeliers.

Les productions « phare » de la pépinière sont alors :

  • Plantes de Serres et d’appartements
  • Plantes de plein air à fleur et à feuillage
  • Décorations florales
  • Grandes cultures d’arbres fruitiers
  • Arbres d’alignement et d’ornement
  • Rosiers
  • Conifères et arbustes
  • Bambous
  • Palmiers

Les Pichon s’enorgueillissent de la production de végétaux de petite taille jusqu’à des sujets très forts, cultivés en pleine terre, gage de leur bonne reprise après transplantation.

L’évaluation réalisée à l’occasion de la procédure d‘expropriation de terrains de la pépinière pour la couverture du Vistre de la fontaine en 1976, est l’occasion d’expliciter l’organisation de la pépinière.

« Ce n’est pas par hasard que la pépinière de grands arbres d’ornement se trouve à proximité du siège des pépinières Pichon. Les clients de Monsieur Pichon sont habitués à choisir leurs arbres en pépinière et le fait que cette parelle soit très prés des bureaux et de l’emplacement des voitures présente, commercialement parlant, un avantage considérable. »

Au sud du périphérique les parcelles étaient plutôt utilisées comme réserve mais pas comme pépinière de présentation car leur visite aurait demandé à chaque fois une perte de temps considérable.

La partie sud du site était aussi exploitée pour le bouturage des plants avant leur culture en pleine terre ou en conteneurs dans le secteur nord.

A noter qu’une partie de la pépinière du côté de la rue des Marronniers était utilisée pour le maraîchage.

A partir de la seconde moitié du XXe siècle l’activité de la pépinière connaît un déclin progressif. Ses terres seront petit à petit grignotées. La création en 1966 du boulevard périphérique sud commence par couper le site en deux. Dix ans plus tard la couverture partielle du Vistre de la Fontaine l’ampute des terres les plus proches du cours d’eau. En 2000 l’activité de la pépinière cesse. Seules l’entreprise du paysage de Michel Pichon et la boutique de fleurs de ses sœurs, place du marché, maintiendront le lien que cette dynastie de jardiniers, nait sur les bords du Gardon au XVIIIe siècle, entretenait avec les plantes.

Pour le site lui-même, s’en suivent plus d’une vingtaine d’années d’abandon des plantations, d’abandon des cultures, d’abandon des serres, laissant place à un foisonnement végétal spontané mais aussi à des usages informels et parfois illicites.

Ce temps de friche, loin d’être un simple temps suspendu, devient un révélateur des dynamiques du vivant, de la résilience des sols et des arbres, mais aussi des contraintes héritées de décennies de culture intensive, arbres cultivés en rangs serrés, racines encore entravées, auxquelles se superposent les traces d’incendies récents.

Dès la fin des années 1980, sous la municipalité de Jean Bousquet, le projet d’acquisition de la pépinière pour y aménager un parc public voit le jour, en prolongement de la « diagonale verte » nîmoise. Il faudra plus de trente ans de négociations avec la famille Pichon mais aussi avec l’État, pour que ce projet se concrétise.

C’est de tout cela que va naitre le futur parc public, devenu parc Jacques Chirac, dont l’aménagement a été confié à l’agence de paysage Alep après l’acquisition des parcelles par la ville de Nîmes en 2023. Un aménagement empreint de toute cette histoire, dans des contextes urbains, sociaux et climatiques bien loin de ceux des années 1880. Des contextes qui imposent un nouveau rapport au Vivant mais toujours une attention particulière à l’eau, dans le trop comme dans le trop peu. L’eau y redevient un fil conducteur, à la fois contrainte et ressource, entre obligation de recalibrage du Vistre et création d’aménagement des bassins d’orage pour la prévention des inondations, tout comme dans le maintien de la fertilité des sols notamment pour pérenniser leur rôle d’éponge… Le projet interroge aussi le devenir des arbres issus de la pépinière, ces « laisses » ou « invendus », et cherche à concilier leur avenir biologique avec l’ouverture du site au public, attendue depuis des décennies par des nîmois en quête de « nature ». Tout un programme auquel il est nécessaire de donner du temps pour trouver son équilibre, sans jugement hâtif.


[1] Vabre, P. Evaluation pour la couverture du Vistre de la Fontaine, 09 01 1976

Chambre verte @VMure – décembre 2025
Chambre verte @VMure – décembre 2025
Alignement de cyprès @VMure – décembre 2025
« Laisses » de culture @VMure – décembre 2025
« Laisses » de culture @VMure – décembre 2025
« Laisses » de culture @VMure – décembre 2025
Débroussaillement après incendie @VMure – décembre 2025
Dernières trâces des incendies @VMure – décembre 2025
Dernières trâces des incendies de l’été 2025 @VMure – décembre 2025
Futur amphithéâtre-bassins d’orage @VMure – décembre 2025
Lisières biodiverses @VMure – décembre 2025
Revitalisation du carré des orangers des osages @VMure – décembre 2025
Les grandes lignes du parc urbain Jacques Chirac à Nimes ©Alep.

Résumé

L’article retrace l’histoire d’une vaste pépinière horticole nîmoise fondée en 1885 par Ernest Pichon, devenue au fil de quatre générations un acteur majeur de la production végétale et de l’aménagement paysager, avant de décliner dans la seconde moitié du XXe siècle. Implantée sur des sols alluviaux fertiles et structurée par le Vistre de la Fontaine et un réseau d’irrigation performant, la pépinière a longtemps constitué un paysage productif vivant, façonné par l’eau, le sol et le temps long de la culture.

La transformation du site en parc public s’inscrit aujourd’hui dans un contexte marqué par l’abandon, le foisonnement végétal spontané et les contraintes héritées de décennies de culture intensive. Le projet ne vise pas à recréer un jardin, mais à composer avec une épaisseur historique, écologique et sociale, en faisant de l’eau un fil conducteur et en interrogeant le devenir des arbres hérités. Il pose ainsi la question d’une habitabilité partagée entre humains et non-humains dans un contexte urbain et climatique profondément transformé.


Abstract

This article traces the history of a large horticultural nursery in Nîmes, founded in 1885 by Ernest Pichon, which over four generations became a major actor in plant production and landscape design before declining in the second half of the twentieth century. Established on fertile alluvial soils and structured by the Vistre de la Fontaine and an efficient irrigation network, the nursery long functioned as a living productive landscape shaped by water, soil, and the long temporalities of cultivation.

Today, the site’s transformation into a public park unfolds within a context marked by abandonment, spontaneous vegetation growth, and constraints inherited from decades of intensive cultivation. Rather than recreating a garden, the project seeks to work with the site’s historical, ecological, and social depth, using water as a guiding thread and questioning the future of inherited trees. It ultimately addresses the challenge of shared habitability between humans and non-humans in a profoundly transformed urban and climatic context.

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