Michel Corajoud, Christian Liger : deux regards sur un jardin.

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Michel Corajoud, Christian Liger : deux regards sur un jardin.

 

Nous étions en 1988. L’un était paysagiste déjà renommé, l’autre était homme de lettre nîmois, adjoint à la culture du deuxième mandat du maire Jean Bousquet (1989 – 1995). J’ai eu la chance de côtoyer les deux ; Christian Liger le temps d’un mandat, Michel Corajoud le temps d’un projet : le projet de restauration du jardin de la Fontaine sur lequel ils se sont confrontés. Un concours gagné mais jamais réalisé. Question de regard…

Pourtant tous les deux percevaient la même superposition, la même surimpression de ces jardins dans le jardin, leur complexité.

Mais la place de l’eau, essence même du « génie » de ce lieu, les a séparé. Une noria inversée, montant l’eau sur la colline, prolongement d’un projet jamais exécuté d’un des frères Mongolfier à la fin du XVIIIe siècle, a constitué un point de blocage.

Deux regards pourtant justes sur le jardin de la Fontaine ; Mais deux points de vue qui n’ont pas réussi à se rapprocher.

Il n’est qu’à les lire pour percevoir leur sensibilité, empreinte de leur parcours personnel.

Deux textes écrits la même année.

Extraits de Nîmes sans visa, Christian Liger, 1988

« Tout se passe comme si le jardin bas offrait deux ordres superposés : l’un serain et beau, d’une symétrie classique, vise à s’emparer de la montagne, projetant ses terrasses le plus large et le plus haut possible – au reste, les plans de Mareschal en ce sens ne furent jamais achevés. La raison et l’esprit clairs sont là satisfaits. L’autre, creusant brusquement à côté de ce décor lumineux, cette dissymétrie : la Source, qui propose sa dénivellation, son creux sombre, son eau verte ; qui vous jette dans le déséquilibre comme rappel du mystère originel. Au moment où l’on croit atteindre le double escalier monumental et ses terrasses Louis XV, l’incertaine surface de l’eau, en contrebas, vous fait broncher l’œil et l’âme.

Je marchais, un jour d’hiver charitable aux pauvres et aux enfants, sur ces esplanades. Il avait durement gelé pendant une semaine, et d’un coup le soleil et une certaine tiédeur de l’air étaient revenus : des centaines de nîmois étaient alors apparus dans les jardins et s’y promenaient dans une paix soleilleuse. Une rumeur bourdonnait sur les allées et les bassins. Mais inévitablement, c’est autour de la Source que l’on venait s’arrêter : penché sur les rambardes ou descendu tout près de l’eau, on scrutait le creux ; non pas surpris par cette surface attentive que la plupart connaissait depuis l’enfance, mais comme pour un recueillement, ou plutôt comme si on était venu s’assurer de la bonne marche des affaires de la ville. Une promenade sacrée, encore, 2500 ans après… »

Extraits du Concours de restauration du jardin de la Fontaine. Michel Corajoud avec P.Morel et Agence Ter, V. Mure consultante botanique, 1988.

« Le jardin de la Fontaine est celui du mélange, mélange des mythes, des œuvres, des techniques qui se surimpriment, sans disgrâce, sur un site exceptionnel.

De nombreuses sociétés, certaines ouvrières, d’autres plus destructrices ont fondé ici ou réaffirmé leur urbanité au seuil d’un territoire où la nature concentre ses effets. Les mises en œuvre et les bouleversements successifs ont, en leur temps, trouvé leurs détracteurs (…).

La pensée contemporaine est plus conciliante et mêlée. Les jardins de la Fontaine forcent notre émotion parce que leur épaisseur restitue sans peine toute la sédimentation acceptée des cultures et des œuvres.

Reste la question posée par cette juxtaposition puisqu’elle nous fait encore hésiter entre le singulier et le pluriel pour nommer le ou les jardins de la Fontaine.

Il nous faut bien admettre que le temps n’a pas réussi a masquer l’évidence de certaines discordances ; entre celle de la pensée de Mareschal par exemple et celle des jardiniers du XIXe siècle qui profitant de l’inachèvement des travaux précédents, ont couvert d’une forêt, considérée comme plus naturelle, le Mont Cavalier. Ces jardiniers n’ont pas tout à fait réussi à établir, dans l’espace, le trait qui les oppose à l’ingénieur et la terrasse qui les sépare accuse toujours cette faiblesse.

Et cependant, nous sommes aujourd’hui ravis de voir, en perspective, ce généreux fronton végétal que porte la rigueur des pierres basses. (…)

Parce qu’il est en étroite inter relation avec un vaste territoire collinaire, le jardin de la Fontaine, plus que tout autre, exprime dans sa chair les harmonies ou les désordres lointains. (…)

Comme tous les êtres vivant, le jardin meurt par ses bords.

Les somptueux agencements de pierre de Mareschal souffrent inéluctablement du temps et des gens qui passent (…) mais c’est aux franges que les symptômes sont les plus alarmants… »

Quelques années plus tard, en 1991, c’est Jacques Wirtz et son fils Peter, qui intervinrent dans une mission auprès des jardiniers, prolongeant l’oeuvre paysagère des siècles passés dans les sous bois du Mont Cavalier, sans la clore pourtant.

 

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P. Morel – M.Corajoud – Agence Ter, 1988

Photos de Véronique Mure

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