EVASION BOTANIQUE

EVASION BOTANIQUE

Produire des photographies, c’est aussi produire de l’inconscience, tout en gardant dans un creux du ventre ce que le monde est, notre manière de l’habiter et de l’appréhender.  Yohanne Lamoulère, l’île 2021

Nos albums photos rassemblent les personnes, les évènements et les voyages qui nous sont chers. 

Evasion botanique[1] est l’album photo de ma vie de botaniste. Il témoigne de mon parcours, de mes arpentages, de mon regard sur les paysages, les jardins, les plantes que j’y ai côtoyées et de mes engagements pour que nous les voyions autrement. Des vieilles forêts aux friches urbaines, des discrets lichens aux vastes paysages, j’observe la vie botanique au plus près et au plus loin. Pour dénicher des indices, collecter des informations, asseoir mon travail et le transmettre, je m’appuie sur la photographie. Des images que je classe et archive méticuleusement, comme un herbier, depuis des années. En résulte ce livre, issu d’un chemin de vie au cours duquel la photographie a toujours été présente. A la fin des années 1950, la photographie prenait place dans chaque famille, s’exprimant de manières diverses. Mon grand-père maternel, Léandre Foissac, garagiste à Nîmes et gardian amateur aux Saintes-Marie-de-la-Mer fréquentait le Camera Club de Nîmes dans les années 50 et 60. Il a réalisé de nombreux films sur le thème de la Camargue, et rassemblé pêle-mêle les photos de sa vie de gardian, prises par lui mais aussi par divers photographes, amateurs ou professionnels, dont Pierre Aubanel, petit fils du Marquis de Baroncelli-Javon. Elles sont collées dans un gigantesque album, minutieusement légendé qui couvre un demi siècle. La photo la plus vieille de cet album est une gase (traversée) d’un taureau menée par un gardian sur le Rhône. Une photo de 1925 dédicacée à leur amitié par Edmond Boniface, manadier de chevaux au mas de l’îlon[2]. Deux ans après, en 1927, grâce à quelques passionnés, les paysages de la Camargue ont été protégés par la création sur 13 200 ha de la Réserve naturelle nationale. 

Mon grand-père paternel, Lucien Mure, pharmacien à Bellegarde (30), était, quant-à-lui, adepte des diapositives, une pratique populaire en Europe au début du 20e siècle qui va de pair avec la projection photographique, qui constitue une forme alternative de diffusion des images, suivant l’ancienne tradition des lanternes magiques (Lacoste, 2017)[3]. Des souvenirs de moments conviviaux en famille essentiellement.

Leurs productions photographiques sur la Camargue, entre autre, ne sont pas naturalistes, et n’abordent qu’à la marge la question des paysages qui depuis les années 50 (années de la “ révolution rizicole ”) se transforment à la fois en raison des aménagements de plus en plus prégnants mais aussi en raison des modifications qu’ils induisent sur les systèmes hydrologiques et le fonctionnement des milieux (Dervieux)[4]. Pour autant elles documentent le rapport particulier de chacun à ce territoire. Une Camargue, illustrée par les traditions gardianes dont les pratiques se sont codifiées au cours du XXe siècle avec la Nation Gardiane et certainement folkloriséesavec ce qu’il est coutume d’appeler les « amateurs ». Mais également une Camargue propice au « contact » avec la nature, aux chevauchées sur des plages de sable fin étalées à l’infini, au camping « sauvage ».  

Il ne fait nul doute que ces deux approches ont nourri mon imaginaire et sont au fondement de ma pratique photographique, même si paradoxalement, alors que les photos de mes grands-pères sont pratiquement toujours habitées d’humains, les miennes ne le sont jamais.   Je me suis interrogée sur le centrage exclusif de mon travail sur le règne végétal. A la réflexion, le regard que je porte sur les plantes a pour intention de révéler leur nature vivante et singulière, faisant également appel à la poésie, pour ainsi dresser des portraits sensibles. 

Pour cet ouvrage j’ai sélectionné 300 photos de 160 plantes et 65 lieux et voulu que leur organisation, leur dialogue, l’harmonie de la lumière et des palettes de couleur y jouent un rôle narratif qui rend tout discours superflu. Seuls de petits textes viennent nommer les plantes, ajouter au récit un détail, ou une anecdote. Ce n’est pas un cours de botanique (quoique) c’est un album de voyage en botanique. 

Loin des observatoires photographiques des paysages, dont l’objectif est de suivre les dynamiques paysagères, Evasion botanique n’a comme seule ambition de renouveler notre regard sur les plantes pour créer du lien et je l’espère de l’émerveillement. 

Véronique Mure – Bulletin Académie d’Arles – Septembre 2021

Chut !

Plus un mot.

Délivrons-nous un instant de ce langage parlé des hommes qui nous emprisonne. Glissons lentement dans le langage des plantes. Prenons le temps. Ce temps végétal que nous avons tant de mal à appréhender. Mettons tous nos sens en éveil. Laissons nous envelopper par tous ces indicibles liens tissés entre des êtres irrémédiablement enracinés et  tous les autres habitants de la planète Terre. Immergeons-nous dans ce monde végétal où les formes, les couleurs mais aussi les parfums sont autant de signes qui composent des récits.  Alors peut-être commencerons nous à entendre ce qu’ils racontent. Alors peut-être, riches de sensations nouvelles, percevrons-nous autrement le Vivant. Alors peut-être notre rapport intime aux jardins, aux  friches, aux prairies, aux forêts et même aux villes, en sera-t-il aussi changé. 

 


Pour feuilleter les 20 premières pages, c’est ici

***

[1]Mure V., Evasion botanique, Ed. Atelier Baie & François Fontès, préface Francis Hallé, 2021. Couverture : Michel Dector

[2]Boniface, Edmond Jean, Bellegarde (30), 1905, Saintes-Maries-de-la-Mer (13), 1989

[3]Lacoste, A., Diapositive, histoire de la photographie projetée. Musée de l’Elysée. Lausanne, 2017.

[4]Dervieux, A. Que peuvent nous dire les anciennes photographies sur les changements paysagers

Vous aimerez aussi

Il n'y a pas de commentaires