On l’aura compris à la lecture des différents articles publiés sur ce blog, l’envie de faire faire à la Bigotie un pas de plus dans l’histoire, de l’inscrire dans ce XXIème siècle qui se profile avec tant de défis pour la planète et en premier lieu le défi de la biodiversité s’est imposée à nous dans cette aventure que nous menons depuis maintenant 8 ans.
Face aux mutations majeures en cours sur notre planète, la diversité biologique préserve pour les hommes comme pour toutes les autres espèces vivantes, leurs chances de recours, de trouvailles, d’innovations, de solutions, donc d’adaptation. Il est urgent de conserver un potentiel d’évolution, plus que de poursuivre un état figé. Le maintien d’une forte diversité biologique constitue notre assurance collective pour les années futures.
Elle est aussi un bien public mondial des générations présentes et futures[1]. Mais la diversité de la vie est aujourd’hui menacée. Son érosion, plus rapide qu’à aucune autre époque, s’accélère encore, mettant gravement en danger les équilibres déjà précaires de la planète.
A la Bigotie, chaque parcelle, chaque haie, chaque mare… est un formidable réservoir de biodiversité. Biodiversité ordinaire bien sur, mais avec ceci d’extraordinaire que sur 5 ha, autant dire un mouchoir de poche, tous les milieux sont représentés. Depuis les zones humides, en fond de vallon, peuplées de prêles des champs, jusqu’aux collines sèches, presque caussenardes, ou croissent le sédum, l’origan et la pimprenelle, en passant par une petite futaie de chênes noirs, sujet de mon précédant article, poussant dans un joyeux désordre. Sans compter tout le réseau de haies et de points d’eau qui maillent le site…[2]
Mais la biodiversité de la Bigotie paraît bien dérisoire à côté de la biodiversité des forêts tropicales, chères à mon ami Francis Hallé. Et c’est précisément de celles-ci dont je voudrais parler.
Il semble que tout le monde soit convaincu de la nécessité et de l’urgence de sauver les forêts tropicales de la destruction. Que les enjeux de cette préservation sont majeurs pour l’équilibre de notre planète que ce soit dans le domaine des changements climatiques (la déforestation contribue à 20% des émissions globales des gaz à effet de serre) ou dans le domaine de la biodiversité (les forêts tropicales abritent plus de la moitié des espèces vivantes de la planète tout en ne couvrant que 6% de sa surface) ou encore en matière de diversité de nos sociétés (les forêts du monde abritent 300 million de personnes dont au moins 100 million sont des populations indigènes entièrement tributaires de la forêt).
Mais alors pourquoi les forêts tropicales et surtout les forêts primaires continuent elles inexorablement à disparaître, et à un rythme que Francis Hallé estime, dans un article paru dans Télérama en 2008, de pire en pire.
Un ensemble complexe de facteurs directs et indirects interagissent pour conduire au déboisement de la forêt tropicale. Les causes les plus importantes et les plus immédiates sont certainement l’expansion agricole, l’extraction du bois et l’extension des infrastructures, qui sont stimulées par des facteurs économiques sous-jacents, les institutions, les politiques nationales et des influences à distance.
Face à cela que font les politiques ?
Un principe de compensation pour la conservation de la forêt tropicale a été proposée dans les années 80 et 90. Opposés à ce principe, certains groupes écologiques dont le WWF, l’ont rejeté. Et le protocole de Kyoto en 2001 oubli la protection des forêts…
Le sommet de Copenhague fin 2009 a confirmé, quant à lui, le principe de financement de la déforestation évitée par l’établissement d’un mécanisme REDD-plus (Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation incluant le principe de gestion durable des forêts). Une certaine somme d’argent sera attribuée à ceux qui protégeront les forêts, proportionnellement aux quantités de CO2 qui auraient été libérées dans l’atmosphère si elles étaient détruites – et qui ne le seront pas.
On parle de dizaines de milliards de dollars par an. Mais il y a plusieurs difficultés qui n’ont pas été levés par le sommet de Copenhague. D’où viendra l’argent ? L’idée est que ces sommes proviennent plus ou moins directement du marché du carbone, sur lequel seraient vendues les tonnes de CO2 dont l’émission aura été évitée. A qui ira l’argent ? La plupart des forêts tropicales sont habitées par des peuples indigènes qui ne possèdent pas de titre de propriété. Auront-ils leur part ? Qui assurera la défense de leurs intérêts si souvent oubliés ? Enfin, comment calculer vraiment cette déforestation évitée ? Quelle sera la référence ? Si l’on prolonge simplement les tendances actuelles, il y a un problème car ceux qui ont beaucoup coupé d’arbres mais commencent à le faire un peu moins (comme le Brésil) seront mieux récompensés que ceux qui font des efforts méritoires depuis des années et ne peuvent pas vraiment faire davantage (le Guyana, par exemple, recouvert à 76% de forêts).
Pour Francis Hallé, scientifique de renommée internationale, découvreur de « l’architecture botanique », qui a consacré toute sa vie aux forêts et aux plantes et a contribué à renouveler notre regard sur elles, l’action en faveur des forêts tropicale prend une autre forme. Comprendre le règne végétal, le connaître, là est l’urgence alors que les dernières forêts primaires, sommet de la biodiversité et berceau de l’humanité, sont en train de disparaître dans l’indifférence quasi générale. En ce sens il s’accorde avec Gilles Clément qui voudrait développer des écoles permanentes de la biodiversité en ville, partant de principe que l’on ne peut préserver le monde du vivant que si on le comprend, si on sait le reconnaître, l’identifier, le nommer. Je ne suis guère étonnée que ces deux là se rejoignent sur ce sujet.
« J’ai passé beaucoup de temps à tenter de défendre la forêt primaire, et je n’ai rien obtenu. Mais sur le plan éthique, se battre a une valeur. Je me considère comme extrêmement privilégié : grâce à l’expérience du Radeau des cimes, j’ai vu ces merveilles et j’aurais voulu que mes contemporains puissent en profiter. Le sous-bois de ces forêts, ce qu’on voit à hauteur d’homme, ne présente pas grand intérêt. En revanche, ces canopées sont d’une beauté spectaculaire, impossible à décrire. Une fois que vous avez vu ces couronnes d’arbres en fleurs, ces animaux extraordinaires et de toutes tailles, que vous avez entendu le concert de la faune canopéenne à la tombée du jour, au milieu des lucioles, vous ne pouvez plus y toucher. » Nous dit il dans Télérama.
Pour cela Francis Hallé s’est lancé dans le difficile pari de réaliser un grand film sur les forêts tropicales. Un film qui « a pour ambition de dévoiler au grand public la grande majesté et l’extraordinaire beauté de ces forêts qui sont en train de disparaître. ». Des paris, Francis Hallé en a tenu bien d’autres et je ne doute pas qu’il réussisse aussi celui là. Chacun de nous peut apporter sa pierre à l’édifice, ou sa feuille à l’arbre comme il voudra, en manifestant son intérêt au projet. Toutes les infos sur le site : http://foretstropicaleslefilm.org/
[1]http://www.cdc-biodiversite.fr/
[2] Les jardins de la Bigotie, petit traité de biodiversité appliquée. Mai 2010. Ed. Atelier Baie
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