Ce texte est extrait de l’ouvrage « De garrigues en Costières – Paysages de Nîmes Métropole », Textes de Jacques Maigne, Photos de Gilles Martin-Raget, Actes Sud, 2005. Il est publié ici en hommage à mon ami Jacques dont j’aimais tant la plume, le verbe et la chaleur humaine.
« Lorsque Lawrence Durrell, le grand romancier et voyageur anglais, découvrit ce vaste amphithéâtre bucolique dans les années soixante, il eut, dit-on, le coup de foudre. Lui qui avait parcouru et célébré tout au long de sa vie les rives de la Méditerranée, Grèce en tête, crut entrevoir ici la synthèse heureuse de ses vagabondages. La plaine de la Vaunage, arrosée par le Rhôny, bordée de collines rocheuses livrées à la garrigue, quadrillée de vignes, vergers ou oliveraies, et dont la pierre des villages dessine des bijoux d’architecture, est un monde en soi, une vallée lumineuse et douce, où le relief en creux donne l’illusion de ciels plus vastes, plus lumineux qu’ailleurs. Oui, Durrell avait vu juste. Cette topographie sereine et rabaudée par des générations de paysans modestes renvoie bien à la profondeur apaisante des paysages grecs, vers Corfou ou Rhodes, là où l’ancien pianiste de jazz né en Inde avait su trouver l’inspiration de son Quatuor d’Alexandrie. En posant ses bagages à Sommières pour y finir sa vie (en 1990, à l’âge de 78 ans), Durrell a débusqué la vallée de ses rêves. Son paysage intime.
Mais la Vaunage, tout comme la Gardonnenque, a profondément changé. C’est peut-être ici que l’on peut le mieux observer la progression des zones pavillonnaires qui ne cessent de s’étendre. Aux portes de la vallée, Caveirac est aux avant-postes, à proximité des faubourgs de Nîmes. Du coup, les lotissements ont fleuri, ils ont même franchi la barrière de la départementale 40, et un centre commercial récent marque le trait. On est bien, désormais, à la périphérie immédiate de la grande ville. On en perçoit nettement l’écho. Même phénomène un peu plus loin, à Saint-Dionisy, à Langlade, et à Clarensac plus encore, où le beau village historique donne l’impression d’être cerné de toutes parts par les villas flambant neuves. La ville, c’est sûr, étend son influence par cercles concentriques, et il faut aller jusqu’à Saint-Côme et Maruejols pour retrouver un village à peu près intact. Mais pour combien de temps ? Il y a quinze ans à peine, personne n’aurait pu prévoir cette ruée, cette flambée des prix, cette urbanisation soudaine. La Vaunage a conscience du danger. Et quelques armes en main. Dans tous ces villages en expansion, on multiplie les initiatives, les débats, les projets. A Langlade, dans le sillage de viticulteurs talentueux, on réhabilite paysages agricoles et architecture traditionnelle de pierre sèche. A Saint-Dionisy, l’aménagement du site de l’oppidum de Roque de Viou attire nombre de randonneurs. Caveirac met en valeur son fastueux hôtel de ville, château du XVII° de 118 pièces, ou son église romane Saint-Adrien. Dans le beau village de Saint-Côme et Maruéjols, ce sont vingt-deux associations qui impulsent la vie locale. Partout, le même désir : refuser la fatalité du village-dortoir, du péri-urbain banalisé. Et redécouvrir les merveilles qui s’offrent tout près, à la lisière des dernières maisons. Ici, par exemple, au hasard de ce chemin qui s’élève au-delà du hameau de Maruéjols et d’où on embrasse d’un coup la vallée douce. Le soleil décline. Vignes et vergers mêlent leurs damiers changeants. On entend sonner la cloche d’une église. Le ciel se teinte de corail. La Vaunage retrouve d’un coup son souffle grec, cher à Durrell. »
Jacques Maigne, 2005
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