Court extrait d’un texte de Colette paru dans « Pour un herbier ». Ce livre est l’un des ses ultimes écrits, rédigé en 1947 (elle meurt 7 ans après). Il regroupe vingt-deux textes évoquant chacun une fleur : rose , lys, gardénia, orchidée, glycine, tulipe, souci, muguet, camélia rouge, jacinthes, anémone, jeannettes, médicinales, arum pied-de-veau, pavot, ellébore. Dans les « Médicinales » c’est surtout de connaissance et de transmission qu’il s’agit, c’est pour cette raison que je l’ai choisi.
« … Autrefois, l’équipe sanitaire de mon pays natal se composait du docteur Pomié, tout argenté d’âge et tremblant comme le givre, et d’un petit lot de rebouteux modestes, « barreurs » et sages-femmes – de celles-ci ma mère parlait sur le ton de la vitupération et du mystère… La figure des plantes, une nomenclature bourrée d’erreurs agréables me suffisaient ; ne me suffisent-elles pas encore ? Un village, autrefois, ne chômait jamais de cueilleuses de simples. « Autant de danger de mort ! » disait Sido. Mais en cachette je les suivais aux bois. Elles parlaient peu et sentaient bon. Sur leur pas s’obstinait l’odeur de la coupable armoise, de la menthe des marais. (…)
Si je l’interrogeais, je n’avais pas à craindre que la Varenne hésitât. Elle proférait un nom – que dis-je ? – deux, dix noms, qu’elle commentait :
– Ça guérit les verrues… Ça tue les chiens… C’est l’herbe-à-serpent, là où tu la vois, tu vois un serpent auprès. La petite feuille poilue, c’est la queue-de-souris.
– Pourquoi ?
– il n’y a pas de pourquoi, c’est la queue-de-souris. Là, c’est une pulmonaire, pour le poumon.
D’une petite baie rougeotte, elle m’enseignait :
– Tu peux la manger, c’est l’épine-vinette, tu peux la mettre en confiture. Mais tu ne peux pas la planter vers le blé.
– Pourquoi ?
– C’est défendu par le gouvernement. Elle gâte le blé. Ça, c’est la grande console (sic). Tout pareil que l’épinard. La petite cerise, c’est de la morelle.
– C’est bon ?
– Oui, pour vomir.
– Alors ce n’est pas bon ?
– Si, c’est bon pour vomir. Quoi c’est-y que tu as ? Tu t’as piqué ? C’est bien fait. Allez, va, marche, bouge pas, je vas te le plumer ton pet-d’âne.
Elle ouvrait son couteau, protégeait sa main nue d’une mitaine en poulangis, et dépouillait de ses piquants un de ces imposants chardons à candélabres violets, frères sauvages, et bien armés, de l’artichaut. Je l’ai bien souvent mangé, cette haute Onoporde, je mange encore son fond, à la croque-au-sel ou en vinaigrette.
Je n’ai guère distingué mon désir de m’instruire, à l’époque de l’enfance, de cette faim qui mè,ne, comme le chat au chiendent, l’enfant à la groseille poilue, à l’oseille, à la pimprenelle… »
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