Depuis 1988 j’enseigne la botanique au CADREF à Nîmes, une Université de la culture permanente et du temps libre. Tous les mardis après-midi, se réunissent plus d’une centaine de passionnés, de curieux, d’amateurs éclairés de botanique pour écouter des histoires de plantes et sans cesse rebondir dessus en les enrichissant. Des sorties et des voyages, en France et à l’étranger, ont maillé pendant de nombreuses années les cours en salle. Mais voilà que le confinement nous prive de ces rencontres hebdomadaires. Un groupe FB et ce blog tente quotidiennement de maintenir un lien malgré tout. Je voudrai leur rendre ici hommage en publiant des « poèmes » (satiriques mais assez justes…) qui illustrent quelques uns de nos déplacements. Morceaux choisis… V.M.
Les végétaux malades du Cadref Iles Borromées - mai 1997 Un mal qui répand la terreur, mal que le Ciel, en sa fureur, inventa pour punir les plantes de la terre, le Cadref, puisqu’il faut l’appeler par son nom, capable de remplir un herbier dans un bond, faisait aux végétaux la guerre. Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés. Un Rosa rugosase voyait écorchée Et ses tendres carpelles au grand jour exposés Sous l’œil impitoyable D’une loupe implacable. Sa douleur fut intense et sa mort lamentable. Sur les bords des lacs italiens S’étaient abattus un matin, Comme un grand vol de sauterelles, les botanistes du Cadref. Sous la conduite de leur chef, Ils faisaient leur sortie annuelle. Et les végétaux éperdus, essayaient, mais en vain d’échapper à leur vue. En voulant déjouer la terrifique engeance et jouer de vicariance, un camélia géant cru forcer le destin en se déguisant en sapin : Il y perdit son feuillage. Partout la fureur faisait rage, rien n’échappait à leur pillage et tout ce qui tombait sous leur cruelles mains était pour ces barbares un tragique butin. Alors des bords des lacs s’éleva un grand cri, une clameur désespérée, les plantes terrifiées hurlèrent à l’envie, en implorant le ciel pour leur cruel trépas : là où le Cadref passe, l’herbe ne repousse pas, car le Cadref est un rapace, dans le genre d’Attila ! Nicole Ozies
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L’if et le séquoia Iles Borromées - mai 1997 Le chêne, un jour, dit au roseau : « Nous avons bien raison d’accuser la nature, notre espèce, pour nous, est un pesant fardeau, car le moindre botaniste qui, d’aventure, vient à patrouiller sur nos terres nous méprise et nous considère comme de simple végétaux. Ah ! si j’était cet if ! » « Et moi, ce séquoia ! » Répondit le roseau d’une petite voix. Et tous les deux louchaient avec concupiscence Sur deux individus de fort belle prestance Qui s’élevaient, royaux, auprès d’un cyprès chauve. Celui-ci, occupé à aérer ses cors Qu’en termes botaniques On appelle pneumatophore, (il se croyait au bord d’une mangrove) eut un rire ironique et secoua son feuillage : « mes amis, leur dit-il, conduisez vous en sages, ne rêvez pas d’une autre vie. » Or, ceci se passait un bel après-midi, Dans le parc somptueux de la villa Melzi. Et voici que surgit cette horde sauvage Dont nous avons parlé dans un récent ouvrage, Les botanistes du Cadref, Sous la conduite de leur chef. « Oh ! regardez cet if ! » « Quel if ? Ce séquoia ? » « Quel séquoia ? Vous ne voyez donc pas… » Et la guerre éclata au sein de la tribu ! Ce fut un beau combat, un merveilleux chahut ! Les arbres racontent encore, à la veillée, quand les touristes se sont en allé, que la nuit doucement s’allonge sur le parc et bruit sourdement le clapotis du lac. Mais, horresco referens, sur le champ de la rage qu’avait manifestée notre horde sauvage gisaient de longs morceaux d’un noir feuillage, des lambeaux pleins de sève et des débris affreux que des vers dévorants se disputaient entre eux : c’est tout ce qui restait de nos arbres royaux ! Le chêne, alors, dit au roseau : « Mon ami, tâchons d’être raisonnables, vivons modestement notre destin commun. » Ils firent, et firent bien : C’est la morale de la fable. Nicole Oziès
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La vesse et la botaniste Gorges du Loup Un jour sur leurs longs pieds Allaient je ne sais où Les botanistes du Cadref Ils squattaient les gorges du Loup Sous la conduite de leur chef Ils traquaient l’exubérante vesse Hélas, pour leur dépit la vagabonde espèce Se refusait à eux. Un jour, jour merveilleux Jour béni des dieux A détour d’un talus verdoyant et superbe Dans le soyeux tapis d’une moquette d’herbe O dieux hospitaliers, que voyons nous ici ? Un choisya, point du tout Une iochroma, que nenni C’était, ô joie, ô bonheur ineffable, La plante vénérée, objet de cette fable. L’un la frôle du doigt, l’autre la boit des yeux Un troisième en rampant se glisse entre les deux Et touche en sanglotant les pétales humides Alors les écartant d’une poigne intrépide La chef les foudroya tel Arès en furie Ignorants, triples buses, que vous ai-je appris ? Cet objet abhorré, cet objet ridicule Non ce n’est pas la vesse où vos cœur affabulent C’est (et là la voix se fit terrible) C’est la gesse, messieurs. Nicole Oziès
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Le grand pèlerinage Voyage en Creuse - Mai 2008 Deux agneaux allaient gambadant Sur une route de la Creuse Un car allait pétaradant Transportant la troupe sérieuse Des botanistes du Cadref Sous la conduite de leur chef. « Que cherchez vous en ces parages » ? Dirent alors en leur langage les adorables vagabonds. « Nous sommes en pèlerinage cheminant avec passion en marche vers le saint des saints le sanctuaire des jardins vers le jardin en mouvement de notre maître Gilles Clément, le Mahomet des plantes folles, le pape des joies messicoles celui dont nous suivons le message ». « Votre quête n’est pas drôle il vous faudra bien du courage car exigeant est le voyage. A Busséol vous irez, sur les rochers vous grimperez au péril de vos guibolles. Au loin vous verrez la Limagne. Dans le pré-haut, vous cueillerez l’herbe de la Trinité et l’herbe aux brigands, sa compagne. Puis vous errerez au hasard, tourne et tournera votre car à travers les chemins détrempés, par la grêle et les trombes d’eau. Le jardin-foutoir vous verrez avec ses plantes dispersées et son barbichon d’écolo. Sous son nez vous kidnapperez quelques tisanes en sachet. Sur les rives de la Sedelle ensuite irez vous promenant sur un gazon vert diamant agréable pour vos semelles. Là, les chênes vénérables ne vous offriront pas de gui, mais les érables admirables brilleront sous leur coloris. Ensuite, inclinés humblement vous descendrez dans la Vallée de Monsieur Gilles Clément. à genoux et prosternés devant les Berces du Caucase et leurs hampes exacerbées, leurs feuilles ouvertes avec emphase, et ainsi sanctifiés vous serez. » «Mais vous, experts en botanique, quels sont vos goûts gastronomiques ? » Et les agneaux aimablement répondirent : « pour nous tout fait ventre, pourvu que ce soit vert et tendre et nous broutons benoîtement l’herbe-foutoir et l’herbe-Clément ». Nicole Oziès
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