Pourquoi les noms des plantes sont-ils si compliqués ?

Alphonse Karr, romancier du XIXème siècle, et surtout grand amateur de jardins, considérait que :

«la botanique c’est l’art de sécher les plantes entre des feuilles de papier et de les injurier en grec et en latin.».

Et je crois bien qu’un grand nombre de jardiniers, à l’exception de collectionneurs chevronnés, pense comme lui… Cette fameuse nomenclature binomiale qui associe un nom de genre à un nom d’espèce, le tout en latin, est pour beaucoup un mystère, voire un repoussoir.

Et pourtant ce latin de jardin, à l’opposé du latin de cuisine, nous donne une foule de renseignements sur les plantes, leurs caractéristiques, leur patrie d’origine, leur utilisation, ou encore le nom de leur découvreur.

Rosa canina, le rosier des chiens, serait ainsi nommé à cause des propriétés de ses racines, réputées, dans l’Antiquité, guérir de la rage.

Et il suffit d’être à proximité d’un chèvrefeuille arbustif, Lonicera frangantissima, en ce mois de janvier pour saisir la signification de son nom d’espèce… Sa floraison hivernale est un vrai bonheur pour nos narines.

L’origine du nom de genre des thyms, Thymus, vient du grec « thio » qui signifie « je parfume » et celui de la lavande, Lavendula, vient du latin « lavare », en témoignage des lavandières qui parfumaient l’eau de la lessive à la lavande.

Les sauges, Salvia, vient du latin « salvare » qui signifie «sauver », en rappel d’une légende qui veut que la vierge et Jésus auraient échappé aux soldats d’Hérode en se cachant sous un pied de sauge.

Et il n’est pas surprenant non plus que tous ces genres de plante, que l’on qualifie facilement d’aromatiques, soit identifiés par Linné ou par d’autres auteurs, comme « officinale ». Ainsi trouve-t-on : Rosmarinus officinalis, Salvia officinalis, ou encore Lavandula officinalis autrement nommée Lavandula angustifolia (la lavande à feuilles étroites).

Notre thym, quant à lui, Thymus vulgaris, a du se contenter d’un qualificatif de « commun ».

Quelque fois l’origine du nom n’est pas si claire. C’est le cas de le dire pour le Lychnis, du grec Lyknos, la lampe. Une allusion à ses feuilles séchées autrefois utilisées comme mèches pour les lampes à huile ou à ses couleurs lumineuses ?

On pourrait expliciter tous ces noms à l’infini… Pour ceux qui en ont l’envie, jetez vous sur un récent petit livre qui nous livre tous les secrets du « latin de jardin »*.

Mais ces noms latins, à quoi servent ils vraiment ?

De tout temps l’homme a cherché à classer les éléments de la nature, plantes, animaux, roches… une manie de notre espèce… mettre de l’ordre dans tout ce bazar… Et il y a de quoi faire avec nos quelques 250 000 espèces de plantes à fleur… Dans l’antiquité la classification se faisaient plutôt à partir des propriétés médicinales de la végétation. Mais c’est au XVIème siècle que les choses sérieuses apparurent en Europe avec la taxonomie (ou taxinomie) botanique, science qui décrit, nomme et classe les organismes vivants dans des taxons.

L’École botanique française fut en pointe à la fin du XVIIe siècle, et les montpelliérains particulièrement, tout d’abord avec le botaniste Pierre Magnol (1638-1715), à qui Linné dédia le Magnolia. Il eut l’ingéniosité de bâtir un système de reconnaissance tout d’abord basé sur les formes végétatives et les organes reproducteurs puis, vers la fin de sa vie,  simplement sur le calice (étendu au fruit), qui inspira Linné. Il est le premier à regrouper les espèces en famille. Joseph Pitton de Tournefort, quant à lui, propose en 1694 une méthode pour reconnaître les plantes grâce aux caractères de la corolle. Il crée la notion de genre.

Vint ensuite le botaniste Michel Adanson (1727-1806), qui, un an avant Linné, propose une classification animale binomiale. Pour la petite histoire, le baobab, Adansonia digitata L., lui sera dédicacé. Il est à la base de la taxonomie botanique moderne et aurait pu être considéré comme le père de la botanique, si l’histoire, la grande cette fois, lui en avait laissé le temps.

Mais c’est Carl Von Linné que l’histoire a retenu. C’est à lui que l’on doit la nomenclature binomiale latine qui précise que le premier nom est le genre, le second le nom d’espèce. Le nom d’espèce est suivi par le nom abrégé du premier botaniste qui l’a décrite. Une nomenclature latine certes, mais ainsi internationale et comprise par tout les botanistes de la planète.

 

Linné a également donné l’idée d’une unité de la classification. Son système de classification, basé sur les étamines, où les plantes sont regroupées de manière hiérarchisée en ordre, divisées en familles, puis en genres et enfin en espèces est toujours en vigueur.

Mais Linné refusait l’idée d’Évolution. Très influant sur ses contemporains, il en a ainsi retardé la propagation dans la communauté scientifique. Cette vision fixiste eu cependant ses contradicteurs.

Augustin Pyrame de Candolle (1778-1841), inventeur du vocable « taxonomie », l’a vigoureusement combattu, en estimant lui que les espèces évoluaient. Il a également aidé Jean Baptiste Monet, chevalier de Lamarck, à écrire la troisième édition de sa flore française paru pour la première fois en 1779. Lamarck, on le sait, basa sa réflexion sur le transformisme, et l’hérédité des caractères acquis.Sa théorie de l’évolution inspira quelques années plus tard Charles Darwin qui publia en 1859 sa propre théorie de l’évolution sur la sélection naturelle.

Après que les idées de Darwin se furent imposées dans la communauté scientifique, la classification cherche à mettre en évidence les relations évolutives, de parenté, entre les organismes. Grâce à Lamarck et Darwin, les classifications futures reposeront donc sur la généalogie des espèces, c’est la phylogénèse.

Aujourd’hui la phylogénie moléculaire est fondée sur la comparaison de séquences d’ADN, c’est elle qui nous permet de classer les espèces, remettant du bazar dans un ordre que l’on croyait acquis depuis 4 siècles… Et voilà que les fraises deviennent des potentilles…

* Le latin du jardin, Librairie Larousse, 2011.

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