Que nous apprennent les plantes du « vivre ensemble » ?

Que nous apprennent les plantes du « vivre ensemble » ?

A la question « Que nous apprend l’intelligence des plantes ? » posée par la journaliste Caroline Broué lors de la table ronde des rencontres de Pétrarque sur France Culture le 12 juillet 2023, j’ai répondu sans hésiter : LE VIVRE ENSEMBLE

Ecouter l’émission ici

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Les travaux des chercheurs Stéfano Mancuso[1], Bruno Moulia[2], Daniel Chamovitz[3], ou encore Jacques Tassin[4], qui ont exploré les mécanismes sensoriels des plantes, alimentent un débat qui, depuis quelques décennies, agite tout autant la communauté scientifique que les médias et le grand public. Leurs découvertes ont ouvert des portes sur un monde largement méconnu. Les portraits qu’ils dressent des plantes, de leur capacité à communiquer, sentir, percevoir leur environnement, y réagir, s’y mouvoir… nous les font découvrir sous un jour nouveau.

Bauhinia yunnanensis ©vmure

Sont-ils pour autant une preuve de « l’intelligence » des plantes ?

– Oui, pour Stéfano Mancuso, qui définit l’intelligence comme la capacité à résoudre des problèmes, ce que les plantes font indéniablement Les plantes n’ont pas de neurones ou de cerveau, c’est un fait, admet le neurobiologiste, mais cela ne signifie en aucun cas qu’elles sont incapables de calcul, d’apprentissage, de mémoire ou même de sensibilité (MANCUSO, 2018).

– Non pour Francis Hallé si l’on s’en tient à la définition actuelle de l’intelligence qui a été écrite par des Hommes pour des Hommes. Mais oui si nous faisons évoluer cette définition. La sensibilité des plantes, leur capacité d’analyse et d’anticipation, d’apprentissage de l’expérience passée et de mémorisation, pourrait ainsi permettre de les qualifier d’intelligentes.

– Ni oui, ni non pour Daniel Chamovitz de l’université de Tel-Aviv qui préfère, quant-à-lui, considérer les plantes comme conscientes de leur environnement (CHAMOVITZ, 2014).

– Pour Jacques Tassin, s’il faut reconnaitre de l’intelligence aux plantes, c’est d’abord dans leur capacité, en se décentrant, à composer en permanence avec le monde (TASSIN 2016).

Liane de haricot ©vmure

Cette question n’est pas nouvelle, dans l’Antiquité Platon déjà, puis Aristote, se la sont posés. Au XIXe siècle Darwin l’a reformulé, identifiant le système racinaire comme étant le « cerveau » des plantes.

La grande majorité des plantes est irrémédiablement fixée au sol, enracinée là où elle a germé, sans possibilité de partir en quête de nourriture et de partenaires pour sa reproduction, ou d’esquiver les situations à risque par la fuite.

Mais si les végétaux sont fixes, ils ne sont pas pour autant inertes et immobiles, au contraire. Communication, sensibilité, temporalité, mouvements, font partie de la vie quotidienne des plantes. Leurs populations se déplacent constamment à la conquête de nouveaux territoires et surtout ils ne cessent de croitre. Toute leur vie les arbres et autres plantes changent de forme, de taille, de volume. Dotés d’une grande capacité à ressentir leur environnement, ils vont chercher lumière et eau indispensables à leur alimentation là où elles se trouvent, contournent les obstacles, réagissent aux stress, se défendent face aux agressions, affrontent le vent et communiquent avec tout le vivant qui les entoure, bactéries, champignons pour améliorer leur potentiel vital, mais aussi insectes, oiseaux, mammifères, déployant  d’incroyables stratégies pour recruter les vecteurs de pollinisation et de dissémination nécessaires à leur reproduction.

Sequoia sp ©vmure

Mais ne nous emballons pas ! Gardons-nous d’interprétations anthropocentrées, plaisantes à raconter, mais de toute évidence en partie erronées (TASSIN, 2018). Soyons attentif à ne pas considérer le règne végétal excédant ce qu’il est, en projetant sur les plantes toute sorte d’attributs arbitraires tel que nous le faisons pour l’abeille par exemple que nous avons surgonflé en la soumettant à une overdose métaphorique d’organisation, d’intelligence collective et bien d’autre chose encore (Klein, E. Chronique du 03 juillet 23 in : La science CQFD – France culture)

Revenons-en au fait que ce règne végétal avec lequel nous cohabitons depuis toujours, ou plutôt qui nous a accueilli (peut-on dire généreusement ?), a une expérience de la vie incomparablement plus ancienne que la nôtre.

Un journaliste m’a un jour demandé à quoi nous servent les plantes. Je me suis permise de lui rappeler que si on met en rapport l’existence d’Homo sapiens, notre espèce, estimée à 300 000 ans, avec la terrestrialisation des plantes, c’est à dire leur sortie des océans vers les terres émergées à l ‘Ordovicien, il y a environ 470 millions d’années, le facteur multiplicateur est de plus de 1500. Les plantes ont passé 1500 fois plus de temps que nous sur la planète. Décalons notre regard et mettons-nous à la place des plantes. Ne se demandent-elles pas à quoi nous leur servons depuis que nous sommes sur la Terre, si ce n’est à perturber leur biotope et tous les écosystèmes planétaires ? Un même constat peut être transposé à nos relations avec les abeilles apparues, quant-à-elles, à peu près 100 millions d’années avant Homo sapiens.

TOUT ETRE VIVANT JARDINE SON GARDE-MANGER

Pour le philosophe Emanuele Coccia tout être vivant jardine son garde-manger. Vivre, pour toute forme de vie, signifie toujours construire le monde où l’on habite, transformer radicalement (et consciemment) tout ce qui l’entoure, nous dit Coccia (GILBERT 2019) Cela veut dire que dès qu’elles sont sorties des eaux, les plantes ont jardiné la planète. Elles ont modifié la qualité des sols en les décompactant, en les oxygénant, en les nourrissant… mais aussi modifié la qualité de l’air en absorbant le dioxyde carbone et rejetant de l’oxygène à travers la photosynthèse.

Une des stratégies les plus remarquables du règne végétal est certainement la co-évolution avec les autres Vivants notamment avec le règne animal, dont les insectes sont le porte-drapeau. Cette co-évolution aura été, et est certainement toujours, un moteur très puissant d’adaptation et de diversification.

Pour s’en persuader, évoquons ci-dessous quelques étapes majeures de l’évolution du règne végétal :

ETAPE 1 / ACQUISITION DE LA PHOTOSYNTHESE

 L’acquisition de la photosynthèse a permis aux plantes l’autonomie énergétique imposée par leur fixité. Grâce à la combinaison d’éléments simples présents dans leur environnement immédiat, l’eau (H2O) du sol et le dioxyde de carbone (CO2) de l’air, en présence de lumière catalyseur de la réaction photosynthétique, les plantes produisent des sucres (C6H12O6).

Cette fonction propre au règne végétal se déroule dans les chloroplastes qui se trouvent dans les feuilles essentiellement et leur donnent leur couleur verte.

Feuille de sauge (Salvia officinalis) ©vmure

Notons que l’existence de ces organites dans les cellules de la plante est le résultat d’une endosymbiose originelle. Il y a 1,5 ou 1,6 milliard d’années, des cellules eucaryotes primitives ont « ingéré » des cyanobactéries (improprement appelés algues bleues) puis ont vécu en symbiose avec elles.

ETAPE 2 / ACQUISITION DES SYSTEMES RACINAIRES ET MYCORHIZES

Une autre de ces étapes majeures de l’évolution du règne végétal est l’acquisition de la vascularisation et des systèmes racinaires, il y 470 millions d’années. Une acquisition fondamentale qui permis aux plantes de se libérer du milieu aquatique. A partir de l’émergence de ce grand groupe des plantes vasculaires et de la terrestrialisation s’inaugure en silence un immense cycle naturel de transformation qui nous a conduit aux écosystèmes que nous connaissons aujourd’hui (Garbave 2016).

Dès lors un « partenariat » avec des champignons s’établi. Peut-être même ce partenariat a-t-il été précurseur au système racinaire. C’est ce que laisse entendre les travaux qui établissent que la « colonisation » des continents par les végétaux a été possible grâce à des champignons invisibles à l’œil nu et à la morphologie peu différenciée qui ont « aidé » les plantes à s’alimenter. Environ 71 % des végétaux forment aujourd’hui des associations endomycorhiziennes symbiotiques avec ces Gloméromycètes qui accompagnaient déjà les plantes lors de leur sortie des eaux (SELOSSE 2021).

Plus largement, les endomycorhizes concernent plus de 80 % des espèces de plantes terrestres. Les solidarités biologiques qui se mettent en place, notamment dans la rhizosphère, renforcent le potentiel vital des plantes. Les symbioses racinaires, en particulier mycorhiziennes, favorisent leur résistance au stress hydrique et à diverses pathologies. L‘efficacité́ des systèmes racinaires mycorhizés est due principalement à une extension de la surface d’absorption et du volume de sol prospecté grâce aux hyphes fongiques. Des chercheurs ont mesuré́ une moyenne de 12 mètres d’hyphes de champignons endomycorhiziens par gramme de sol dans une dune sub-tropicale. Dans ces même conditions, ils ont estimé que la longueur d’hyphes qui se développent autour de la racine peut atteindre 200 à 1000 mètres pour un centimètre de racine (NOUAIM, CHAUSSOD 1995)

Outre le rôle des mycorhizes dans l’alimentation en eau de la plante, dans la plupart des cas, leur effet bénéfique est également dû à une amélioration de la nutrition minérale de la plante-hôte, surtout en ce qui concerne les éléments peu mobiles dans le sol tels que le phosphore (P) et le zinc (Zn). II n’est pas exclu que la nutrition azotée de la plante puisse aussi être améliorée sous l’effet de la mycorhization (NOUAIM, CHAUSSOD 1995).

En échange des « services rendus » les champignons reçoivent 20 à 40% des sucres produits par les plantes-hôtes.

Considérant l’existence de potentiels ponts mycorhiziens entre les plantes d’un même écosystème, comme l’ont mis en lumière les chercheurs Marc-André Selosse, Benoit Dodelin ou encore Mélanie Roy à partir de leurs travaux sur les orchidées, crée un potentiel flux de carbone important entre les plantes (SELOSSE et al, 2006). En zone méditerranéenne par exemple, le chêne vert partage plus de la moitié de ses champignons mycorhiziens avec l’arbousier (69,4%) ce qui ouvre la porte à des échanges entre ces individus connectés (DODELIN & SELOSSE 2011) (ROY & SELOSSE 2013) ;

Arbousier (Arbutus unedo) dans une chenaie méditerranéenne ©vmure

L’établissement de ponts mycorhiziens, via ce partage de champignons entre deux espèces végétales notamment en milieu forestier, fait aujourd’hui l’objet de controverse. Fréquents pour certains chercheurs (KENNEDY ET AL ; 2003), de récentes études ont émis des doutes sur cette fréquence et les interprétation squi en sont faites. Études elles-mêmes contestées (SELOSSE 2023)…

A partir de leurs racines, les arbres et les herbes et tout leur microbiote, tissent sous terre un immense réseau invisible où circulent sans cesse, dans toutes les directions, non seulement des nutriments, mais aussi des informations. Siège d’activités chimiques et électriques importantes, capables d’envoyer des signaux à toutes les parties de la plante, comme d’en recevoir, les systèmes racinaires sont tous interconnectés. Un gigantesque réseau reliant les êtres vivants grâce à des milliers de kilomètres de micro-connexions tissées entre eux. Un réseau fait de filaments imperceptibles à l’œil nu, dessinant des paysages dont on peine à imaginer l’ampleur.

L’image du « Wood Wide Web » a été souvent mise en avant, peut-être à tort. Alors comment se représenter avec justesse ces paysages invisibles ?

Les orchidées, qu’elles soient épiphytes ou terrestres, du fait de leur graine dépourvue de réserve, l’une des plus petite du monde, ne peuvent germer sans la présence d’un champignon (Rhizoctonia). Ce dernier leur fourni ces substances dont elle a besoin. Les chercheurs ont montré que les substances carbonées qu’elles reçoivent par l’intermédiaires de leurs mycorhizes proviennent des arbres avec lesquels les champignons sont par ailleurs associés, mettant ainsi en lumière ces ponts mycorhiziens entre différentes espèces.

Le cas des plantes rudérales

Il existe un petit nombre de familles végétales qui se sont secondairement affranchies de la dépendance vis-à- vis des champignons mycorhiziens, comme les Cypéracées, Chénopodiacées, Brassicacées, Polygonacées ou Protéacées. Des plantes sont rudérales spécialisées dans la colonisation de milieux perturbés où les champignons mycorhiziens font défaut, le fait de pouvoir fonctionner sans eux les rend très compétitives par rapport aux végétaux mycorhiziens qui ont besoin de symbiotes. Morphologiquement, l’absence de filaments fongiques est compensée par l’hypertrophie des poils racinaires qui jouent le même rôle d’exploration de la porosité du sol. (GARBAYE 2016).

Friche urbaine ©vmure
Soude (Salsoda soda) Chénopodiacée ©vmure

Des symbioses bactériennes

Au-delà des symbioses mycorhiziennes, certains végétaux ont également établi des symbioses bactériennes.

Les Fabacées, c’est bien connu, sont associées avec des bactéries du genre Rhizobium. Des Casuarinacées (filaos) et des Bétulacée (aulnes) sont quant-à-elles associées avec des bactéries filamenteuses du genre Frankia. Les bactéries partenaires vivent dans des nodosités sur les racines fines. Elles réduisent l’azote gazeux en ammonium ainsi à disposition de la plante en échange de sucres photosynthétiques. Le « contrat » à bénéfice mutuel est donc du même type que dans le cas de la symbiose mycorhizienne.

ULTIME ETAPE / ACQUISITION DE LA FLEUR ET DU FRUIT

L’acquisition de la fleur et du fruit est la dernière étape connue de l’évolution du règne végétal. Sa datation est cependant toujours incertaine.

Après avoir acquis la graine il y a environ 310-350 millions d’années, les plantes ont acquis les fleurs et les fruits.

L’ancêtre commun le plus récent de toutes les plantes à fleurs vivantes existait probablement il y a environ 140 à 250 millions d’années (SAUQUET & al, 2017) mais le mystère reste entier sur LA fleur ancestrale.

Avec la fleur et le fruit, le règne végétal précise, adapte, améliore ses dispositifs d’interaction avec le règne animal pour assurer la pollinisation puis la dispersion des diaspores (fruits et/ou graines). Le succès évolutif de cette stratégie est grand. Les Angiospermes ne vont cesser de s’étendre sur la planète et de se diversifier. Aujourd’hui 90% de la flore terrestre sont des plantes à fleurs, avec plus de 319 000 espèces vivantes répertoriées en 2015. Dans le même temps les Gymnospermes, dont l’optimum d’extension et de diversification se situe autour du Jurassique (avant l’apparition des plantes à fleurs mais en même temps que les dinosaures) avec 20.000 espèces, sont aujourd’hui réduites à « peau de chagrin » avec 800 espèces seulement regroupées en 8 familles principales (14 au total).

Une des raisons du succès des Angiospermes est la co-évolution avec le règne animal. On parle de mutualisme*, quelque fois même de symbiose*. Chacun y trouve son compte. L’un (l’animal) y trouve le plus souvent de quoi s’alimenter, ou s’y reproduire, l’autre (la plante) profite du moyen de transport pour palier sa fixité. Le grand groupe des Arthropodes apparu il y a quelques 550 millions d’années, a largement participé à ces interactions, en particulier les insectes (coléoptères, abeilles, fourmis, papillons, mouches…) évoluant en miroir avec les végétaux. Les correspondances temporelles sont frappantes. Une relation qui débute avec de simples piqures sur les limbes pour se poursuivre par la consommation de feuilles au Permien (mousses, lichens, fougères), jusqu’à une spécialisation pour la consommation de nectar et de pollen au Crétacée, autour de 100 Ma (-145 à -66 Ma) époque de concomitance entre l’apparition des abeilles et des plantes à fleurs. Le développement de la pollinisation au Tertiaire (-66 à -2,58 Ma) dont les coléoptères et les abeilles furent les principaux artisans, joue ainsi un rôle essentiel dans la reproduction des plantes et la formation des écosystèmes actuels.

Si les plantes ont investi dans la synthèse énergétiquement coûteuse des fleurs et des fruits c’est que « le service rendu » par leur partenaire est grand. Les pièces florales, véritables médias utilisés par les plantes pour attirer un, ou des pollinisateurs, vont lui garantir le succès de la fécondation de l’ovule désormais enfermée dans un ovaire, et par-delà de la production de graines, elles-mêmes protégées dans le fruit. Par la conquête de nouveaux territoires mais surtout grâce aux brassage génétique que permet la fécondation croisée, les Angiospermes propulsent les espèces vers l’avenir. Le paléontologue américain Leigh Van Valen a ainsi comparé la co-évolution à la « Reine rouge », en s’inspirant de l’œuvre de Lewis Carroll. Dans De l’autre côté du miroir, la Reine rouge explique à Alice que dans son pays il faut courir aussi vite que possible pour rester au même endroit. Les biotopes étant en constante transformation, une espèce qui n’évoluerait pas suffisamment pour faire face à ses changements serait ainsi condamnée à disparaître (Mc KEY et al, 2008).

LA POLLINISATION

Disposition des pièces florales, formes, couleurs, ornementations, parfums, nectar… sont autant de caractères qui vont permettre d’établir la relation plante-pollinisateur. Des caractères qui vont s’affiner, voire se complexifier en même temps que les pollinisateurs se spécialisent.

Abeille et fausse-roquette (Diplotaxis erucoides) ©vmure
@vmure

Il nous faut être conscient que nous ne percevons pas tout de la relation ainsi établie entre la plante et son pollinisateur. Par exemple, considérant que les abeilles ont un spectre de vision décalé dans l’ultra violet (elles ne voient pas le rouge), de nombreuses fleurs portent des marques en UV invisibles à nos yeux.

Pois sauvage ©vmure

MIMETISME DES OPHRYS

Certaines orchidées du genre Ophrys, fréquentes en régions méditerranéennes, ont des structures florales tout à fait particulières pour attirer leurs insectes. Ainsi, les fleurs ont développé une ressemblance étonnante avec l’abdomen des femelles de l’espèce pollinisatrice, de manière à attirer le mâle qui se chargera, à son insu, de la pollinisation après une tentative avortée de copulation. Pour cela les pièces florales revêtent des couleurs et des motifs que le mâle reconnaitra au premier coup d’œil. Pour renforcer le leurre, les fleurs ont développé une pilosité caractéristique de la femelle.Enfin, elles libèrent des arômes qui copient à la perfection les phéromones qui permettent au mâle de localiser la femelle à grande distance.

Ophrys araignée ©vmure

L’ORNITHOGAMIE (pollinisation par les oiseaux) est moins connue que l’entomogamie (pollinisation par les insectes). Les oiseaux sont presque les derniers à l’échelle de la planète en matière de pollinisation mais en milieu tropical ils représentent 20% des pollinisateurs

Dans ce cas le principal défi pour les fleurs ornithogames réside autant dans la protection que dans l’attraction. Se protéger de l’assaut puissant et potentiellement dévastateur du bec des oiseaux, même des plus petits d’entre eux, voilà le véritable enjeu !

Pour les oiseaux les fleurs vont avant tout être une source d’alimentation, et plus précisément de nectar. Quelque fois se sont les insectes qui butinent la fleur dont les oiseaux vont se nourrir. Mais il faut avouer qu’ils sont d’une délicatesse assez sommaire et seules les fleurs les plus grandes et les plus robustes seront à même de résister aux coups de bec. Par ailleurs, bien que les oiseaux ne se posent pratiquement jamais sur la fleur pour la visiter, les espèces ornithophiles sont plutôt des arbres ou des arbustes, voire des lianes, mais jamais des herbes.

Pour protéger ses organes reproducteurs et en particulier son ovaire, la fleur ornithophile développe diverses stratégies dont l’une est d’élaborer des dispositifs qui séparent efficacement l’ovaire des nectaires (glandes qui produisent du nectar), l’enfouissant au tréfonds des pièces florales ou le plaçant bien au-dessus.

C’est cette stratégie qu’a adopté la passiflore (Passiflora sp), une liane aux grandes fleurs. Que faut-il retenir de la structure de cette fleur étrange pour notre propos ?

Passiflore bleue (Passiflora caerulea) ©vmure

Au centre de la collerette frangée, ornementée telle une cible dont le cœur concentre tous les regards, se trouve une « coupe » emplie de nectar. Une coupe dont la passiflore a pris soin d’éloigner son ovaire en le surélevant bien au-dessus des pièces florales. Il s’agit donc là d’une stratégie de protection des pièces reproductrices vis à vis du mode de pollinisation.

Mais revenons aux caractéristiques des fleurs ornithophiles, et plus particulièrement à leur couleur. On les dits souvent brillamment parées et plus particulièrement en rouge (érythrine, flamboyant, hibiscus…). Mais il semble que le bleu pur est aussi prisé des oiseaux. Certaine Broméliacées, tels les tillandsias ou les puyas le montre. D’autres fleurs se parent de plusieurs couleurs avec une palette de teintes digne des couleurs du plumage de certains oiseaux. On note que ceux ci ont un certain attrait pour les couleurs similaires à celles qui composent leur propre plumage. C’est l’exemple que nous offre la strélizia, une musacée d’Afrique australe connue dans nos jardins sous le nom commun d’oiseau du paradis. Il doit ce nom à la forme élancée de sa fleur évoquant un oiseau prêt à prendre son vol. Une fleur très robuste qui peut servir de perchoir et qui marie l’orange chaud des sépales et le bleu violet des pétales ; le même assortiment de couleurs que le Nectarinia, petit oiseau suceur qui pollinise ses fleurs.

Oiseau du paradis (Straelizia sp.) ©vmure

D’un point de vue de leur forme, les fleurs ornithophiles peuvent être regroupées en deux grandes familles :

– les fleurs tubulaires, permettant l’insertion des becs longs et fins de certains oiseaux comme les colibris. C’est l’exemple des hibiscus ou des aloès.

– Les fleurs en brosse ou en rince bouteille comme les eucalyptus, les banksias ou les callistemons. Celles-là couvrent leur visiteur de pollen grâce à leurs très nombreuses étamines.

Les espèces ornithophiles sont essentiellement inter-tropicales. En l’absence de saison limitante une forêt offre des fleurs tout au long de l’année, ce que n’offrent pas les milieux des zones tempérées.

Si l’ornithophilie peut sembler un mode de pollinisation plutôt rudimentaire, sont efficacité est cependant surprenante. Un même oiseau consacrant quelques secondes à chaque fleur peut en visiter plusieurs milliers par jours

Chez le gingembre lorsque la fleur n’est encore qu’en bouton, elle produit un nectar « spécial fourmis ». Celles-ci, en échange du précieux breuvage, assurent la défense des tissus immatures du bourgeons floral contre d’éventuels prédateurs. Dès que la fleur est éclose, elle émet alors un nectar « spécial colibri » pour assurer sa pollinisation

LA DISSEMINATION DES FRUITS ET DES GRAINES

La dissémination des fruits et/ou des graines (les diaspores) se fait elle aussi par différents vecteurs biotiques (animaux) ou abiotiques (vent, eau…).

Lorsque ce sont des animaux qui assurent la dissémination on parle de zoochorie. Qu’ils soient secs ou charnus, tout est bon pour « profiter » de la mobilité animale. Certains fruits s’accrochent, s’agrippent sur les pelages ou les plumages, dotés d’appendices crochus, telle la bardane à l’origine de l’invention du Velcro  (épizoochorie). D’autres transiteront par le tractus digestif d’un animal (endozoochorie), en particulier des oiseaux, pour ramollir le tégument de leurs graines, ils lui offrent alors une chair sucrée et appétissante. D’autres encore compte sur les oublis des animaux qui font des stocks de fruits secs pour la « mauvaise » saison (synzoochorie). Ainsi sous les climats tempérés les noix ou les noisettes sont disséminés au gré des cachettes des écureuils ; les glands au gré de celles des geais des chênes.

Glands du chêne rouvre (Quercus petraea) ©vmure

Dans les forêts tropicales humides, ce sont les oiseaux et les chauves-souris, qui assurent la dispersion de 60 à 70% des espèces végétales.

Les fourmis, petites mais présentes dans tous les écosystèmes de la planète, ne sont pas en reste. Elles transportent inlassablement quantités de fruits et de graines, souvent plus gros qu’elles. Pour en faire leurs alliées les plantes myrmécophiles, des Euphorbiacées par exemple, ou encore les hellébores, produisent des graines légères et nombreuses, parées d’une substance comestible, riche en lipide et en protéine, l’élaiosome, dont elles sont friandes.

Hellebore (Helleborus niger) ©vmure

A noter que les associations entre plantes et vecteurs de dissémination ne sont pas vraiment exclusives comme peuvent l’être celles intervenant dans les processus de pollinisation. Il n’est pas rare que différents vecteurs dispersent les fruits d’une même espèce, voire le même fruit successivement. Pour reprendre l’exemple des euphorbes, avant que les fourmis ne transportent leurs graines, celles-ci ont été tout d’abord projetées au sol par le fruit grâce au mécanisme de déhiscence de la capsule. Une dissémination dite balistique. Cette autochorie à faible portée est relayée par une zoochorie sur une plus longue distance.

Plus étonnants encore sont les transformations des fruits et des modes de dissémination apparus au cours des temps chez une même espèce, s’adaptant ainsi à un environnement nouveau. Le cas du Crépis de Nîmes (Crepis sancta) est en cela bien connu. Cette petite Astéracée, familière des bords de champs autant que du béton de nos trottoirs urbains, ajuste la taille et l’ornementation de ses akènes en fonction de la fertilité du sol où elle pousse. Comment fait-elle la différence ?

Crepis de Nîmes (Crépis sancta) ©vmure

Moins connu est l’exemple d’une Bignoniacée du Panama, Parmentiera cerifera, l’Arbre à bougie, dont les fruits charnus, prisés par des singes frugivores, renferment des graines munies d’un vestige d’aile, preuve pour Doyle McKey & Martine Hossaert-McKey, que leurs ancêtres possédaient des fruits secs avec des graines ailées dispersées par le vent (Mc KEY et al, 2008).

Pour le botaniste montpelliérain Daniel Sabatier le foisonnement des formes de fruits s’explique si on perçoit que chaque espèce effectue un bout de son chemin évolutif en s’appuyant sur un mode de dispersion, puis engage une nouvelle tranche de son histoire avec un autre (SABATIER, 2008).

QUELLE PLACE OCCUPE L’HOMME DANS TOUT CELA ?

On l’a vu, Homo sapiens est apparu bon dernier, il y a juste une 300 000 ans, une larme dans l’histoire. Est-il imaginable que les plantes ne l’aient pas « vu » arriver ? Qu’elles n’aient pas repéré sa frénésie de déplacements et son appétit de sucre ? De fait, l’homme est le plus efficace vecteur de dissémination de la planète. Grâce à lui, la tomate (Solanum lycopersicum), pour prendre ce seul exemple, fruit charnu dont l’aire d’origine est au Mexique, a fait le tour de la planète en à peine quelques siècles, tout comme la figue ou le blé bien avant elle.

©vmure

Cultivée dans tous les jardins potagers du monde, universellement cuisinée, la tomate est aujourd’hui représentée par 36 000 variétés, chacune spécifique d’un pays, d’une région, voire d’un terroir. Ainsi trouve-t-on sur les marchés la Noire de Crimée, la Marmande, la Téton de Vénus d’Espagne, la Palestinian, l’Egyptian tomb, la Pavard de Lille, la Black cherry des Etats Unis, Tempête de sable de Belgique, la Couille de Toro d’Espagne, Voyage du Guatemala, Yash de Yougoslavie, Stupice de la République Tchèque….

Faut-il alors considérer ces fruits qui nous sont devenus si familiers comme étant, avant tout, des appâts mis en place par les Angiospermes pour nous confier leur déplacement ? Des fruits riches en lipides et en glucides pour satisfaire nos goûts et nos besoins énergétiques, pourvus de couleurs et d’odeurs attractives pour encourager leur cueillette et faciliter la dissémination de leurs graines. (MURE, 2019)

Figues (Ficus carica) ©vmure

Là où Francis Hallé voit une stratégie relevant de la « manipulation » (HALLE, 1986), Emanuele Coccia préfère parler de relation de « confiance » (COCCIA, 2019).

Les plantes immobiles, n’ont pas d’autre choix que de s’en remettre à un vecteur mobile dont elles ne maitriseront rien des déplacements pour la suite des opérations.

Une fois fruits et graines « confiés » à d’autres, la plante n’a que peu de moyen d’influer sur le voyage de leurs semences, ni de s’assurer qu’elles arriveront à bon port et trouveront un site favorable à leur germination. Nonobstant elle peut favoriser le vecteur qui sera le plus efficace pour elle par une subtile appétence de ses fruits.

QUELLE SUITE ? LE MODELE DE LA FIGUE ET DU BLASTOPHAGE VIVANT ENSEMBLE DEPUIS LE CRETACE ;

On vient de voir que « l’invention » de la fleur (et du fruit), a eu un avantage évolutif significatif conduisant les Angiospermes à une incontestable supériorité numérique sur la planète. Peut-on dire, à la lumière de cette co-évolution, que c’est la relation aux autres qui l’a conduite ?

Alors quelle suite à tout ceci ? A cette question, Francis Hallé se prononce en faveur du modèle du figuier qui a l’avantage de vivre en permanence avec son pollinisateur, le blastophage, une petite guêpe, diminuant ainsi l’aléa de la pollinisation

Pour en savoir plus sur la pollinisation du figuier c’est ici

Figuier (Ficus carica) ©vmure

Et là, peut être, étonné de l’amitié éprouvée pour un végétal, jamais ne s’estompera l’émerveillement de cohabiter avec un être d’une espèce différente. Si l’on ne perd pas de vue l’étrangeté de cette aventure, nous lui  accorderons un prix inestimable…

(SANSOT, 2003)

Véronique Mure – Juillet 2023

Bibliographie

  • Chamovitz, D., La plante et ses sens, Bushet-Chastel (2014)
  • Coccia, E.  Gaïa ou l’anti-Léviathan Critique 2019/1-2 (n° 860-861) pp. 32 à 43 (2019)
  • Coccia, E., com.pers. (2019)
  • Dodelin B., Selosse M.-A., Orchidées et champignons : une porte vers les réseaux mycorhiziens, Bull. mycol. Bot. Dauphiné-Savoie, 202, p75-83 (2011)
  • Gilbert, A., Emanuele Coccia : « Toutes les espèces sont constamment en train de changer le monde », Nouveau Magazine Littéraire, (2019)
  • Garbaye, J., Dossier Le sol : un capital à protéger – Jardins de France 641 – (Mai-juin 2016)
  • Hallé, F., Eloge de la plante, pour une nouvelle biologie, Ed. du Seuil, 1986
  • Kennedy P.G., Izzo, A.D., Bruns T.D. There is high potential for the formation of common mycorrhizal networks between understorey and canopy trees in a mixed evergreen forest Journal of ecolgy, 21 November 2003 https://doi.org/10.1046/j.1365-2745.2003.00829.x
  • Mancuso, S., Viola, A., L’intelligence des plantes, Ed. Albin Michel (2018)
  • Mancuso, S., La révolution des plantes – comment les plantes ont déjà inventé notre avenir, Ed. Albin Michel (2019)
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[1] Stéfano Mancuso est ,professeur d’horticulture et de physiologie des plantes à l’université de Florence.

[2] Bruno Moulia est directeur de recherche à l’Inra

[3] Daniel Chamovitz est biologiste, directeur du Manna Center pour les biosciences végétales à l’universié de Tel Aviv,

[4] Jacques Tassin est chercheur en écologie végétale au CIRAD

[5] La parthénocarpie (du grec « graine vierge ») est la production de fruits sans fécondation d’ovule. Le fruit se développe comme si la fleur avait été fécondée, mais les fruits ainsi produits (banane, clémentine, …) ne contiennent pas de graines ou les graines ne contiennent pas d’embryons. (source wikipedia)

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