Le poids des mots : définition lexicale

Le poids des mots : définition lexicale

Par Véronique MURE, botaniste

Texte rédigé pour la journée « Palette Végétale Urbaine » le 6 février 2024 – organisée par Verdir & Valhor

Les mots sont comme les êtres vivants, instables, pluriels, complexes.

Rabelais dont on connait l’érudition mais aussi l’esprit farceur, rapporte dans le Quart livre, au mi-temps du XVIe siècle, qu’Aristote pensait que les paroles voltigeaient, volaient, se mouvaient et étaient donc animées. Aussi, lorsqu’elles sont prononcées par un rude hiver, elles gèlent, se transforment en glace, et personne ne les entend plus. Ainsi, ce que Platon enseignait aux jeunes gens le comprenaient-ils à peine au soir de leur vie … 

Ne sommes-nous pas dans cette situation ? Entourés de mots qui voltigent, vont et viennent sans cesse autour de nous ? Des paroles qui passent de bouche en bouche, des mots qui passent de texte en texte, jusqu’à / en oublier le sens premier. 

Dans le domaine qui est le nôtre, traitant du « végétal », de sa place dans les projets d’aménagement, dans les villes en particulier, il est des mots qui sont aujourd’hui dans toutes les bouches mais dont la signification est souvent erronée. Sans parler du genre qui leur est attribué dit-on un myrte ou une myrte, un ellébore ou une, une ou un asphodèle… ? – dans ces cas l’usage prend souvent le pas sur le dictionnaire – évoquons plutôt des mots spécifiques à notre époque.

Les mots « endémiques » et « évapotranspiration » sont de ceux-là. J’avoue une certaine exaspération à les entendre la plupart du temps maltraité.

Mettons sur le tapis quelques mots à propos desquels il semble important de nous entendre collectivement. 

Indéniablement, l’aire de répartition, mais aussi l’aire d’origine des plantes, focalisent toutesnos attentions. En témoigne, la fréquence dans les textes et dans les discussions, des mots : indigène, endémique, local, exotique

Ces quatre-là étant certainement les plus courants mais on pourrait en citer maintes déclinaisons qui les nuancent ou les précisent : Spontané, sauvage, autochtone…Vs planté, cultivé, naturalisée ou acclimatée, et bien sûr envahissant et/ou invasif 

Sont également devenus courant tous les mots en rapport avec les « milieux » : Biotope, biocenose, écosystème, milieu, habitat…

On pourrait penser l’exercice de définition assez simple, nécessitant juste un bon dictionnaire et un peu de rigueur. Mais il n’en est rien, surtout lorsque ces définitions se superposent ou lorsqu’un critère social s’en mêle. Qui parle ? Au nom de quoi ? 

« Un vieil homme dira que la Pampa est un songe, nous dit le poète espagnol Frédérico Garcia Lorca ,un jeune que c’est un excellent terrain de football, un poète regardera le ciel pour mieux la voir. »

Venons-en à la définition des 4 premiers mots cités :

·      Indigène : Se dit d’une « espèce » qui se trouve dans « son » aire d’origine géographique, sans intervention humaine ; elle peut également être désignée comme autochtone / certains disent native. Nous verrons le mot « local » plus loin.

Pour mémoire le mot « natif » est utilisé par le Conservatoire Botanique National méditerranéen de Porquerolles pour l’intitulé de l’outil SILENE qui est donc un Système d’Information et de Localisation des Espèces Natives et Envahissantes. 

Indigène est depuis quelques années un mot familier à tous les paysagistes et professionnels du végétal. Désormais les projets d’aménagement s’évaluent via des labels, attribués sur maints critères, dont bien souvent un taux de plantes « indigènes » à atteindre. Nous y reviendrons dans le détail. 

L’indigénat est semble-t-il le garant d’un projet vertueux pour la préservation de la « biodiversité ».Mais est-il toujours utilisé à bon escient ? Il me semble que non.

En premier lieu je constate que le fossé existant entre ceux qui décident de ces processus d’évaluation et ceux qui les appliquent est souvent trop grand et que la connaissance des plantes sur le terrain globalement trop faible. 

En deuxième lieu, le critère d’indigénat est trop sujet à interprétation pour être un critère « robuste ».

Je citerai pour appuyer mon propos un extrait du document établi par les Conservatoires Botaniques Nationaux, (celui de Porquerolles et celui des Pyrénées et de Midi-Pyrénées), présentant la « Liste de référence des plantes exotiques envahissantes de la région Occitanie 2023 ». 

Un chapitre intitulé « consensus sur l’indigénat » qui exprime clairement les difficultés rencontrées à l’usage de ce mot, a retenu mon attention. Il dit ceci :

Il a été remarqué une différence de traitement du statut d’indigénat entre les CBN d’Occitanie. En effet, la mise en commun des travaux historiques fait poser de nouvelles questions (ex. les taxons considérés indigènes le sont-ils sur l’ensemble du territoire ou sur une partie du territoire ?) et de connaître l’échelle à laquelle il faut travailler : région administrative (dont départements), régions biogéographiques locales (à l’échelle de la France), régions à l’échelle mondiale (Amérique du sud, Amérique du Nord, Asie…) ? Ces questions permettent de mieux analyser le cas par ex. des taxons méditerranéens qui apparaissent dans les régions biogéographiques voisines, qui sont à mettre en perspective avec les changements climatiques (…). Le travail d’homogénéisation a permis de se mettre d’accord sur les définitions, comme par ex. « cryptogène » (CBNPMP) qui n’est utilisé que dans les cas d’absence d’informations suffisantes pour trancher sur l’indigénat, permettant une correspondance (avec)« Indigène douteux » (utilisé au CBNMed) (..). De plus, une analyse des taxons indigènes selon leur rang a été nécessaire : cas de taxons qui ont une sous-espèce indigène et une autre exogène, pour lesquels nous avons conservé, disent les auteurs, le rang taxonomique où il n’y a aucune ambigüité sur l’exogénat à l’échelle de l’Occitanie.

Pour illustrer ce dernier cas, je donnerais l’exemple la canne de Provence (Arundo donax), une plante exotique, bien que certainement archéophyte, figurant dans la liste des Exotiques Envahissantes de l’UICN en France, pour Wallis et Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Mayotte et la Réunion. Pas pour la Métropole. Pour autant les Parcs Nationaux en préconisent l’éradication. 

Evoquons également une toute proche parente, très ressemblante quoiqu’un peu plus petite, la canne de Pline Arundo plinii, aujourd’hui rebaptisée Arundo donaciformis qui pousse autour de Fréjus et de Hyères. Elle est, quant-à-elle, protégée en région PACA et présente sur la liste rouge (UICN)de la flore menacée de France en tant qu’espèce encourant un risque très élevé d’extinction dans la nature. Difficile de les distinguer si l’on n’est pas spécialiste. Ce qui fait que les deux sont, sans distinction, assimilées à des exotiques qui plus est, envahissantes. 

Par ailleurs, notre distanciation avec ces grandes graminées, autrefois « bonnes » à tout dans le jardin potager, mais plutôt mal vue à notre époque, a des répercussions insoupçonnables à priori, dans l’univers musical cette fois. La disparition des « canniers » et la perte de leur savoir-faire (notamment pour le séchage du chaume) ont conduit à la disparition des anches en canne pour les instruments à vent, et leur remplacement par des anches en plastique qui sont loin de produire des sons de la même qualité, notamment parce que le plastique n’est pas un matériau vivant.

Toujours le poids des mots… et de notre regard sur les espèces !

·      Venons-en au mot « endémique » : C’est un terme plus restrictif qu’indigène, souvent employé, à tort, à sa place. Une espèce endémique est une espèce présente dans une aire de répartition très limitée et qui en est caractéristique. Le taux d’endémisme dans les îles, par exemple, du fait des spéciations par isolement des peuplements, est très important.

En général les endémiques sont protégées et ne sont pas présentes dans les palettes végétales des aménagements, ni dans les filières. Ce mot ne devrait donc pas être si courant dans notre vocabulaire…

LES ENDEMIQUES EN CHIFFRE  : En 2007, les Angiospermes (plantes à fleurs) comprennent en France environ 150 familles contenant 6 000 espèces. 107 espèces sont strictement endémiques du territoire national métropolitain et 73 espèces sub-endémiques, c’est-à-dire présentes en France et dans un autre pays, généralement limitrophe.[1]

  • Exotique, un mot que l’on connait bien dans cette assemblée, se dit d’une espèce qui n’est pas originaire de la région considérée. On dit aussi allochtone. Ce statut d’exotique est, en miroir de l’indigénat, lui aussi sujet à bien des interprétations en fonction des limites spatiales ou temporelles que l’on met autour de lui. 

C’est un mot que l’on regarde de nos jours avec beaucoup de méfiance. Ce ne fut pas toujours le cas – l’exotisme fut attractif autrefois. J’en veux pour preuve la tulipomanie au XVIIe siècle ou encore la valeur des Séquoiadendron giganteumà la fin du XIXe, dont le prix d’une seule graine équivalait à neuf fois le poids de l’or…  

Par ailleurs, on le sait, qui dit exotique aujourd’hui, dit potentiellement invasif, par un glissement sémantique sur lequel nous allons revenir.

On connait pourtant aujourd’hui le rôle bénéfique de certaines espèces végétales exotiques en tant que ressource pour les abeilles par exemple, en particulier pendant les saisons défavorables à la flore indigène (été et hiver en méditerranée), comme le montre une récente étude de l’INRA et du Parc National de Port-Cros.[2]

Enfin,

  • Local, un mot à part, devenu un peu ambigu, car il fait référence à une aire d’origine mais aussi à une « marque » : le végétal local

Les politiques publiques en faveur des plantes dites « locales » ont vu le jour assez tôt dans le monde forestier (1962) et plus tardivement dans l’aménagement rural, pour les haies notamment, avec en point d’orgue le lancement de la marque « Végétal local » en 2015. 

Le site internet de la marque nous rappelle qu’elle a été créée à l’initiative de trois réseaux : les Conservatoires botaniques nationaux, l’Afac-Agroforesteries et Plante & Cité dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité.Son objectif était de promouvoir l’utilisation de végétaux sauvages, issus de collecte en milieu naturel et adaptés à des chantiers ou des opérations ayant un objectif de restauration de la fonctionnalité écologique des milieux. (…). Leur utilisation en plantation, réhabilitation ou végétalisation étantbénéfique pour la résilience des écosystèmes. Ces végétaux, reconnus pour chaque région d’origine par la marque « Végétal local » sont donc les outils adaptés pour toute opération visant à la conservation ou la restauration de la biodiversité, tout en s’appuyant sur des filières de collecte et production locales[3].

La marque s’adosse à des listes d’espèces indigènes et/ou d’archéophytes,produites et distribuées localement, au sein de 11 zones biogéographiques circonscrites au territoire français, pour favoriser la biodiversité des projets en milieux naturels et ruraux.

A noter que si les espèces messicoles, (littéralement les plantes habitant les moissons) ont été intégrées dans les listes de plantes locales, considérées comme des archéophytes, les arbres fruitiers, quant-à-eux, en ont été écartés, conduisant à leur impossible qualification dans les projets paysagers. Exit le figuier, par exemple, toujours considéré comme « exotique ». Il est pourtant « naturalisé » dans nos territoires depuis au moins l’Antiquité, lié à l’histoire des sociétés méditerranéennes, un arbre civilisateur mais toujours pas « indigène ».  

A noter encore que tout comme pour l’indigénat, le recours à la marque « Végétal local », est dorénavant inscrit dans beaucoup de CCTP de projet d’aménagement y compris en centre-ville, ce qui n’était pas le sens premier. 

  • Archéophyte : se dit d’une plante non originaire d’une région géographique, mais introduite avant l’an 1492 ce qui permet de les raccrocher aux indigènes. Un choix en référence à une date historique qui interroge sur sa pertinence… 

On voit donc à partir de ces mots, l’importance de leur définition et la nécessité non seulement de ne pas faire d’amalgameentre eux mais encore de toujours les resituer dans leur contexte.

Cela nous amène à préciser des mots qui leur sont proches :

Autochtone, sauvage sont-ils synonymes d’indigène ? Quelles différences entre spontané, sub-spontanné, naturalisé, acclimaté ? Et qu’en est-il des invasives ? 

S’il n’est pas utile de s’attarder sur les premiers mots (autochtone, sauvage) ou encore spontané qui sont sans ambiguïté je crois, précisons les autres :

  • Sub-spontanées : ce sont plus prosaïquement les « échappées de jardin ». Des espèces cultivées qui se reproduisent de façon autonome par multiplication végétative, à partir d’un pied mère.
  • Naturalisée : se dit d’une espèce exotique dont les populations introduites dans un milieu se reproduisent de façon sexuée. Le cyprès par exemple, ou encore l’arbre de Judée.
  • Acclimatée : qualifie une espèce exotique bien installée dans un milieu mais ne s’y reproduisant pas de façon sexuée.

Arrêtons-nous un bref instant sur deux « gros » mots :

  • Envahissant et/ou Invasif: La distinction entre les deux termes fait quelque fois débat. Certains affirment qu’invasif est un anglicisme mais un rapide coup d’œil au Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales nous montre que les deux mots sont dans la langue française depuis au moins le XIIème siècle. 

Certains font également une distinction d’origine géographique : Une invasive serait initialement exotique tandis qu’une envahissante serait indigène du lieu envahi. Pour moi cette distinction n’a pas lieu d’être non plus. Dans ce dernier cas un autre terme doit être utilisé, tel que « pionnier » par exemple.

Quoiqu’il en soit, dans les deux cas, il s’agit de mots synonymes d’agression, et de violence… 

Encore le poids des mots !

Leur définition, au-delà de leur différence, est au cœur d’un grand débat :

Pour Richardson et Müller, par exemple, « une plante dite invasive est une espèce exotique qui, ayant franchi les barrières successives qui limitaient sa reproduction, sa naturalisation et sa dispersion, connaît une phase importante d’expansion dans sa nouvelle aire » (Richardson et al. 2000 ; Müller 2004).

Pour l’UICN[4], alliée à la Convention sur la diversité biologique, et au Programme mondial sur les espèces exotiques envahissantes c’est une espèce exotique dont l’introduction par l’homme (volontaire ou fortuite), l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques et/ou économiques et/ou sanitaires négatives« .

On saisit à travers ces deux définitions un débat de fond qui porte sur la notion de menace. 

Les éventuels impacts positifs en tant d’écosystèmes émergeants, qui sont rarement abordés, constituent un autre point du débat. 

Par ailleurs notons que le socle de ces stratégies est l’établissement de listes d’espèces, dont les plus préoccupantes sont réglementées au niveau européen (l’ailante, Ailanthus alitssima par exemple). Ces listes sont ensuite déclinées à l’échelle régionale. Elles distinguent différents rangs de préoccupation (majeure, modérée, émergente, alerte, prévention) mais une fois qu’une espèce est présente sur une liste, toute nuance disparait dans les faits. L’espèce est condamnée, bien que ces listes ne soient souvent pas contraignantes.

Pour élargir les exemples donnés au monde de la forêt, je citerai le robinier faux acacia (Robinia pseudoacacia) ou le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) tous deux classés en Occitanie comme plantes exotiques envahissantes, majeure pour l’un, modérée pour l’autre, dont les forestiers réclament la requalification du fait des services rendus. 

Je reprendrais ici les mots du Président de l’association « Forêt Méditerranéenne », Charles Dereix, à propos du Cèdre : 

Le qualificatif « envahissant » sonne comme une condamnation, dit-il. Pour le public, la cause est entendue : c’est non à cette espèce ! Dans le contexte du changement climatique, où il est clair que « la niche climatique des espèces va beaucoup bouger », une condamnation trop rapide ajoute aux risques. »

Par extension, ce sont généralement toutes les espèces « exotiques » qui se retrouvent embarquées dans ce bannissement systématique des palettes végétales. 

Aujourd’hui la pression est telle que TOUTES les plantes exotiques deviennent suspectes d’être potentiellement envahissantes. A l’inverse, les plantes locales, indigènes, se parent de TOUTES les vertus. Ces dernières, nous renvoient l’image d’une nature authentique[5], bien « conservée ». 

(« Conservation » encore un mot qui nécessiterait que l’on s’y attarde dessus dans un monde où tout bouge, en premier lieu le climat…)

Il existe bien d’autres mots de ce registre, mais intéressons-nous aux formations végétales et au paysage. 

En botanique et en biogéographie, une formation végétale désigne une communauté d’espèces, caractérisée par une certaine physionomie. 

Elle détermine un paysage caractéristique. Cette physionomie – on dit aussi « végétation » – permet de faire une description générale d’un site à une échelle assez étendue. Elle dépend des espèces qui composent la formation végétale et du milieu qui les accueille. 

La forêt, la steppe, la prairie ou la lande sont des formations végétales

On peut distinguer, à l’intérieur de ces grandes catégories, des formations végétales plus précises en tenant compte des conditions écologiques qui les caractérisent : on peut de la sorte identifier différents types de forêts (Chênaie, Pinède, Hêtraie…) par exemple. 

Une classification internationale des formations végétales, établie en 1973 par la FAO, en a ainsi distingué 225 différentes. 

Ces dénominations peuvent tout aussi bien désigner des formations très limitées (un bosquet) que plus grandes, comme la forêt, voire des ensembles biogéographiques de très grande extension (la toundra). 

Notons au passage qu’à l’échelle internationale, la FAO définit les forêts comme des formations végétales occupant une superficie de plus de 0,5 hectare (5 000 m2) avec des arbres atteignant une hauteur supérieure à 5 mètres et un couvert forestier de plus de 10 %. Cette définition exclut les terres dont la vocation prédominante est agricole ou urbaine. Les termes « micro-forêt » ou « forêt urbaine » peuvent donc être considérés comme des oxymores (un rapprochement de deux termes que leur sens devrait au contraire éloigner…). 

Avec les évolutions de la phytosociologie, la notion de formation végétale tend à être abandonnée pour être remplacée par celle plus précise de groupement végétal (ou communauté végétale dont l’unité́ de base est l’association végétale), qui tient compte des_espèces précises qui composent la communauté et de la manière dont elles se trouvent associées. 

Poursuivons en élargissant le propos à d’autres mots couramment employés :

·      Le biotope est une aire géographique de dimensions variables, offrant des conditions physiques, chimiques et climatiques relativement constantes aux vivants. C’est donc la composante non vivante d’un écosystème (le sol, l’eau, le climat…).

·      La biocénose est, quant-à-elle, l’ensemble des êtres vivants qui occupent un le biotope. Le terme recouvre à la fois l’ensemble des communautés vivantes, la répartition de leurs espèces et leurs inter-relations. Pour les plantes on parle d’associations végétales, pour les animaux de zoocénoses, pour les insectes d’entomocénoses. 

  • Ecosystème : est formé par la biocénose et son biotope. Dit autrement c’est l’ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants et son environnement. C’est une unité écologique fonctionnelle douée d’une certaine « stabilité » à différentes échelles. (on parle de micro-écosystème pour un tronc d’arbre pourrissant; de macro-écosystème pour un océan).
  • Milieu « naturel » : ensemble des caractéristiques biologiques et physiques qui régissent l’existence des organismes vivants
  • Habitat : Espace homogène par ses conditions écologiques, hébergeant une certaine espèce, ayant tout ou partie de leurs diverses activités vitales sur cet espace. 
    • Habitat d’espèce est le milieu défini par des facteurs abiotiques et biotiques spécifiques où vit l’espèce à l’un des stades de son cycle biologique. Pour les espèces animales, l’habitat doit notamment prendre en compte l’aire de reproduction, l’aire de nutrition et l’aire de repos de l’espèce. La notion d’habitat d’espèce peut donc correspondre à différents milieux.

Jusqu’à présent la ville et ses palettes végétales ne sont guère apparues dans mes propos.

Comment caractériser l’écosystème urbain ?

Bien évidemment les sols scellés de la ville et la forte minéralité du bâti influent sur ses températures et la disponibilité en eau. Ainsi on pourrait assimiler le biotope urbain à un biotope de canyon. Anthropique, par définition, l’écosystème urbain est très éloigné des milieux naturels dans lequel il s’insère. 

Alors comment justifier les référentiels dévaluations du potentiel de biodiversité des projets urbains basés sur des critères d’indigénat ?

N’est-on pas là dans un contre-sens ?

Imaginerait-on évaluer les associations végétales d’une ripisylve à la lueur des formations végétales dominantes des milieux naturels adjacents ? 

Pour mieux illustrer mon propos, je voudrais vous lire une petite sélection de 8 recommandations (parmi une vingtaine d’autres) faites aux concepteurs pour l’aménagement des lots d’un écoquartier en vue de l’obtention d’un label, parmi d’autres, en faveur de la biodiversité des espaces extérieurs. A noter que chaque recommandation a une note attribuée de 1 à 4 (4 étant la note la plus élevée) et que l’opérateur doit choisir les recommandations qu’il souhaite mettre en place de façon à obtenir un score minimal de 28 points (soit 60% des recommandations). 

Voici :

·      RECOMMANDATION N°3 / 75% de la palette végétale doit être indigène, bien adaptée aux conditions climatiques et pédologiques, non invasive et rustique (Pour mémoire la rusticité dans le domaine horticole fait appel à des critères de froid) (3 points) 

·     RECOMMANDATION N°4 / Au moins 90% des espèces devront être à faible classe de risque allergène (2 points)

·      RECOMMANDATION N°5 / 75% des plantes doivent-être mellifères (2 points) (encore un mot qu’il serait urgent de définir afin de l’utiliser à bon escient…)

·     RECOMMANDATION N°6 / Présence de 4 strates végétales (arbres, arbustes, herbacées, grimpantes) (2 points)

·     RECOMMANDATION N°7 / Présence de 3 fruitiers (1 arbre et 2 arbustes) (2 points)

·     RECOMMANDATION N°8 / 15% à minima des végétaux doivent provenir de pépinières locales (2 points) (A noter que dans ce cas la recommandation ne fait pas directement référence à la marque « Végétal local »)

·      RECOMMANDATION N°9 / Avoir une notice paysagère décrivant, localisant et caractérisant les plantes odorifères retenues afin de favoriser les odeurs de nature dans les espaces verts (3 points) (Que penser de ce critère ?)

·     RECOMMANDATION N°10 / Caractérisation et présentation des habitats dans la notice paysagère. 50% d’entre eux devront être inspirés de milieux régionaux (3 points) (Un critère qui pose beaucoup de questions de mon point de vue)

Peut-on réellement faire établir des palettes végétales pertinentes ainsi ? Avec comme objectif d’accumuler des points pour l’obtention d’un label à partir de recommandations certes vertueuses sur le papier, mais tellement loin de la réalité d’un projet paysager ?

En conclusion, parlons du mot « biodiversité » lui-même, qui fut le fil rouge de cette intervention. 

Voici un mot issu de la contraction de deux autres : les mots « biologique » et « diversité ». On appelle cela un mot « valise ». 

Pour l’Office Français de la Biodiversité (OFB) c’est le tissu vivant de notre planète. Cela recouvre l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie (plantes, animaux, champignons, bactéries, etc.) et leurs interactions. Elle comprend trois niveaux interdépendants :

  • La diversité des milieux de vie à toutes les échelles : des océans, prairies, forêts…jusqu’au contenu des cellules (pensons au microbiote) en passant par la mare du fond de son jardin, ou les espaces végétalisés en ville ; On parle de biodiversité fonctionnelle
  • La diversité des espèces (y compris l’espèce humaine) qui vivent dans ces milieux ; on parle alors de biodiversité spécifique.
  • La diversité génétique des individus au sein de chaque espèce.

Une définition assez ouverte. Pourtant j’ai souvent l’impression que la biodiversité s’est enfermée dans la seule comptabilité du vivant, devenant un mot « comptable ». 

Le quantitatif est-il un bon indicateur de la qualité du vivant ? Sans se voiler la face face aux crises que traversent la planète, et à l’importance de maintenir la pression dans tous les domaines pour enrayer cette sixième extinction massive du vivant, ne devrions-nous pas avant tout en prendre soin ? Pas uniquement en tenir la comptabilité.

Les recommandations des labels ne devraient-elles pas aller dans ce sens ?

L’OFB précise sur son site que le « concept »(Sic)de biodiversité est apparu dans les années 1980. Mais c’est la Convention sur la diversité biologique signée lors du sommet de la Terre de Rio de Janeiro (1992) qui reconnaît pour la première fois l’importance de la conservation de la biodiversité pour l’ensemble de l’humanité. » 

Un concept assez jeune donc, mais qui, de mon point de vue de botaniste, a phagocyté des mots bien plus anciens, tels que « botanique », voire même « jardins » (ou art des jardins) et « paysage ». Encore des mots à définir certainement, mais le temps manque.

Terminons par un autre « gros » mot, le mot « Nature » 

Le philosophe des sciences et anthropologue, Bruno Latour disait de la nature que nous l’avons personnifié, nous en avons fait l’arrière-plan de nos actions mais aujourd’hui elle remonte sur scène. 

Nous saute à la figure que ce n’est pas_un aimable décor, un simple mot, mais notre vie même !


[1]Observatoire du Patrimoine naturel des Réserves naturelles nationales  2007,

[2]Gombaud C., et all. Inventaire des abeilles sauvages sur les sites de Port-Cros, Bagaud et du Cap Lardier – INRA & Parc National de Port-Cros 

[3]https://www.vegetal-local.fr/

[4]Union Internationale pour la Conservation de la Nature

[5]Mélissa Hégo.Le choix des plantes et espèces locales dans les projets de paysage : effet de mode ou renuveau à encourager ?.Sciences agricoles. 2015. Dumas-01203416… 

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