(…) Si nous réfléchissons à n’importe quel phénomène vital, selon même sa plus étroite signification qui est : biologique, nous comprenons que violence et vie sont à peu près synonymes. Le grain de blé qui germe et fend la terre gelée, le bec du poussin qui brise la coquille de l’œuf, la fécondation de la femme, la naissance d’un enfant relèvent d’accusation de violence. Et personne ne met en cause l’enfant, la femme, le poussin, le bourgeon, le grain de blé(…).
Jean Genet
Introduction
Les plantes voyagent. Les herbes surtout.
Elles se déplacent en silence à la façon des vents. On ne peut rien contre le vent.
En moissonnant les nuages, on serait surpris de récolter d’impondérables semences mêlées de lœss, poussières fertiles. Dans le ciel déjà se dessinent d’imprévisibles paysages.
Le hasard organise les détails, utilise tous les vecteurs possibles pour la distribution des espèces. Tout convient au transport, des courants marins aux semelles des chaussures. L’essentiel du voyage revient aux animaux. La nature affrète les oiseaux consommateurs de baies, les fourmis jardinières, les moutons calmes, subversifs, dont la toison contient des champs et des champs de graines. Et puis l’homme. Animal agité en mouvements incessants, libre échangeur de la diversité.
L’évolution y trouve son compte. La société non. Le moindre projet gestionnaire se heurte au calendrier prévisionnel. Comment ordonnancer, hiérarchiser, taxer : le possible surgit à tout moment. Comment maintenir le paysage, en gérer les dépenses s’il se transforme au gré des ouragans ? Quelle grille technocratique appliquer aux débordements de la nature, à sa violence ?
Face aux vents, aux oiseaux, la question des interdits demeure. La nature inventive condamne le législateur à revoir les textes, chercher les paroles rassurantes.
Et si l’on assurait contre la vie ?
Un tel projet — l’assurance à tout prix — trouve des alliés inattendus : les radicaux de l’écologie, les tenants de la nostalgie. Rien ne doit changer, notre passé en dépend disent les uns ; rien ne doit changer, la diversité en dépend disent les autres. Haro sur le vagabondage.
Le discours va plus loin. Politique, il assemble les esprits sur la nécessité d’éradiquer les espèces venues d’ailleurs. Qu’allons-nous devenir si les étrangers occupent le terrain ? On parle de survie.
La science vient à la rescousse : l’écologie, otage de ses propres intégristes, sert d’argument. Ici naît l’imposture : les calculs statistiques, la levée des recensements conduisent à un génocide tranquille, planétaire et légal. En même temps se dessine une imposture plus vaste : frapper de patrimoine le moindre caractère identitaire — un site, un paysage, un écosystème — afin de pouvoir en chasser tout ce qui ne vient pas le conforter.
Au nom de la diversité — trésor à préserver pour d’inavouables calculs : n’y aurait-il pas quelques sous à tirer, quelques brevets à prendre ? — les énergies se mobilisent contre l’intolérable processus de l’évolution.
Pour commencer, on s’en prend aux êtres qui n’ont rien à faire ici. Surtout s’ils y sont heureux. D’abord éliminer, après on verra. Régler, comptabiliser, fixer les normes d’un paysage, les quotas d’existence. Déclarer ennemis, pestes, menaces, les êtres osant franchir ces limites. Instruire un procès, définir un protocole d’action : partir en guerre.
Cet ouvrage s’oppose à une attitude aveuglément conservatrice. Il considère la multiplicité des rencontres et la diversité des êtres comme autant de richesses ajoutées au territoire.
J’observe la vie dans sa dynamique. Avec son taux ordinaire d’amoralité. Je ne juge pas mais je prends parti en faveur des énergies susceptibles d’inventer des situations nouvelles. Au détriment probable du nombre. Diversité de configurations contre diversité des êtres. L’un n’interdit pas l’autre.
Éloge des vagabondes s’en tient au jardin : à la planète regardée comme telle. Au jardinier, passager de la Terre, entremetteur privilégié de mariages inattendus, acteur direct et indirect du vagabondage, vagabond lui-même. »
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