Qualifier le potentiel de biodiversité d’un projet d’aménagement urbain

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Qualifier le potentiel de biodiversité d’un projet d’aménagement urbain

Pendant les dernières décennies, tout s’est passé comme si le milieu urbain était un monde à part, déconnecté du reste de la planète et de la biosphère (…) L’enjeu est donc d’agir localement pour répondre à la fois à des besoins locaux et planétaires, mais en s’inscrivant dans la nécessaire reconnexion de la ville à la biosphère. Cela passe par le retour de la nature en ville, le rétablissement d’un fonctionnement écosystémique spontané, l’extension ou la création d’infrastructures vertes. Pour cela, la biodiversité offre une palette d’outils qui permettent d’agir sur plusieurs objectifs à la fois, dans une approche plurielle et intégrative très concrète de la ville. L. Seguin[1]

Qu’entend-on par biodiversité urbaine ?

Les définitions de la biodiversité sont multiples, au point que le terme a été traité de coquille vide ou de terme valise. Au comble de la confusion, la biodiversité est parfois assimilée au monde vivant tout entier, alors qu’elle est supposée en évoquer une propriété fondamentale. P. Blandin[2]

BIODIVERSITE / stricto-sensu : la diversité de la vie, c’est celle qui est aujourd’hui majoritairement retenue. Une diversité spécifique, génétique, fonctionnelle.

Envisager la biodiversité urbaine à sa juste valeur, c’est…

– Eviter à tout prix un « pensée simplifiante », être attentif à maintenir en permanence  un degré de complexité qui est le propre du vivant, 

– Prendre l’habitat comme fil rouge : habiter, exigence commune à l’homme et aux espèces végétales et animales. 

HABITAT / Partie de l’environnement définie par un ensemble de facteurs physiques, et dans laquelle vit un individu, une population, une espèce ou un groupe d’espèces

A noter qu’une pierre, un vieil arbre, un mur, un jardin, une cours, une rue, une rivière, un toit sont tous des habitats qui accueillent du vivant spécifique.

– Explorer les liens avec les formes urbaines (perméabilité de la ville vs dicontinuités, seuils de taille des ilots, qualité des marges et lisières, emboitement des habitats…)

– Affirmer le sol comme point d’ancrage de tout habitat, socle commun entre tous les êtres vivants, avec une nécessaire fertilité pour faire société, en particulier pour les arbres. Ceci se répercutant sur la façon de « faire » la ville.

– Poser l’hypothèse du contexte urbain comme générateur de spéciation 

Faut-il s’en référer au sauvage, au champêtre, à la ruralité pour entrevoir ce que pourrait être la nature urbaine ?

Existe-t-il une « nature » spécifique à la ville ? Une nature urbaine qui a évolué avec la ville, comme la flore insulaire, née de son isolement, ou les populations végétales et animales méditerranéennes nées des contraintes d’un milieu aride et minéral, exploité par l’homme depuis des millénaires. 

A première vue, les scientifiques nous enseignent la « banalisation » des espèces au fur et à mesure que la ville se densifie. L’urbanisation étant considérée comme l’une des causes majeure de la standardisation du vivant, avec une « homogénéisation taxonomique de ces espaces au le long d’un gradient de densification[3]

Mais en y regardant d’un peu plus près, la spécialisation de certaines espèces inféodées à des milieux urbains, nous inciterait à nous placer sur une autre échelle, temporelle plus que spatiale. 

Le Crépis de Nîmes (Crepis sancta subsp. nemausensis (Vill.) Babc.) une Asteracée, autrement nommée Herbe rousse, Crépide sainte, Ptérothèque de Nîmes, Engraisse-mouton, Salade de lièvre… fleurit de février à mai et a la particularité de produire deux types de diaspores : une majorité d’akènes plumeux, au sommet de la fleur, pouvant se disperser par le vent et une minorité d’akènes plus lourds sur les côtés, disséminés par barochorie, multipliant ainsi ses chances de reproduction au loin et au près.

Les scientifiques ont observé qu’en ville, l’espèce a tendance à produire chaque année un plus grand nombre de gros akènes que dans les champs.  Ainsi, en réponse à la fragmentation de son habitat dû à une urbanisation croissante, la plante a rapidement privilégié pour assurer sa survie, la proximité plutôt que la conquête d’un territoire, qui  s’avèrerait peu productive.

Une stratégie d’adaptation qui pourrait venir éclairer l’évolution d’autres espèces végétales dans tout écosystème victime de morcellement, du fait de l’urbanisation.[4]

Peut-on parler de résistance ? 

Ne faudrait-il pas alors choisir de faire de la résistance la matière première de la trame verte urbaine ?

Ne faudrait-il pas alors considérer la ville comme créant les conditions d’un processus, qui, pour autant que l’homme ne vienne pas l’entraver en cherchant à lutter contre, peut engendrer une biodiversité spécifique ?[5]

– Re-questionner en permanence les raisons de s’intéresser à la biodiversité urbaine à la lumière de la spécificité de chaque projet et non sur la base de référentiels standardisés.

Comment quantifier et qualifier le potentiel de biodiversité d’un site urbain ? :

Peu d’outils sont aujourd’hui à notre disposition pour évaluer l’état et faire le suivi de la qualité du tissu vivant urbain. 

Un diagnostic de la biodiversité doit-être établi à partir des données naturalistes existantes(ABC) et des explorations de terrain, en se basant sur des critères de biodiversité simples et quantifiables, choisis spécifiquement pour caractériser les sites étudiés. 

Etant entendu, comme précisé par l’Observatoire National de la Biodiversité, qu’un indicateur ne doit être mobilisé et interprété qu’avec précaution. Il a été développé dans un contexte particulier pour un usage particulier. Il convient de lire soigneusement ses caractéristiques et de prendre en considération les limites d’usage précisées dans le document. Un indicateur est un élément quantitatif qui vise à alimenter le débat et non à le remplacer ; il doit toujours être replacé dans la perspective plus large d’une analyse qualitative par ses utilisateurs.[6]

Il s’agit donc de faire porter le diagnostic sur l’aménagement en tant qu’il apporte, ou pas, développe ou interdit, des habitats potentiels pour la biodiversité, plus que de s’intéresser aux seules caractéristiques de espèces en terme de « naturalité ».En effet on connaît actuellement fort peu les capacités de dispersion des espèces et les facteurs qui les contraignent. Dessiner des corridors écologiques à partir de quelques espèces-clés est donc difficile et d’autant plus délicat que si l’espèce en question disparaît, c’est alors tout le corridor qui pourrait être remis en cause.[7]

Ceci afin de révéler les éléments qui peuvent être constitutif de la trame verte urbaine. Ces trames vertes urbaines prenant leur sens par le développement de continuités végétales au sein des espaces urbains plus ou moins denses. 

Propositions des paramètres, critères et indicateurs de biodiversité urbaine

Confrontée à la nécessité de qualifier le potentiel de biodiversité de projets d’aménagement urbains, je propose un ensemble de paramètres, critères et indicateurs et établi un référentiel spécifique qui permettent de caractériser ce potentiel de biodiversité.

  1.  Surface du site 

La taille du site est un des critères de fragmentation des habitats et au delà l’intérêt pour la biodiversité.En effet plus un site est fragmenté, plus la taille des habitats en présence est petite, plus la taille des populations hébergées dans les habitats est elle même petite.

Cependant le critère de taille d’un espace urbain, outre sa valeur intrinsèque, doit-être pondéré par sa position dans le tissu urbain.

En effet, la connexion des habitats par des corridors peut pallier la petite taille d’un site et l’envisager telle une structure en métapopulations (populations séparées dans l’espace mais interconnectées par des flux d’individus) qui a de plus grandes chances de survie.

  • La position du site dans l’armature du vivant, évaluée à travers le critère de distance par rapport aux réservoirs de biodiversité les plus proches. 

Un site situé à courte distance d’un réservoir de biodiversité est plus favorable à la circulation d’espèces.

En milieu urbain, le réseau écologique peut prendre la forme d’une connectivité, parfois limitée entre espaces verts et jardins individuels, mais pouvant souvent être développée à partir du cordon végétal constitué par les lisières et interstices.

  • La diversité spécifique de la flore et de la faune

Le nombre d’espèces végétales et animales recensées sur un site

Dans le cas d’un aménagement urbain, l’évaluation de la diversité spécifique de la palette végétale plantée doit se faire non pas au regard des seuls critères d’indigénat[8]et de risque invasif mais au regard de sa cohérence avec les habitats en place et adjacents. 

Les statuts de plante cultivée[9], de variété et/ou de cultivar doivent également être précisés pour assurer la pertinence de l’évaluation.

  • La diversité des milieux représentés sur le site. 

Une mosaïque de milieux produisant des paysages complexes est plus favorable à la diversité spécifique car abritant potentiellement des espèces inféodées, au contraire d’un paysage simplifié qui satisfait moins bien moins les besoins vitaux des espèces animales souvent inféodées à divers habitats pour accomplir leur cycle de vie. 

L’aménagement des pieds d’arbres peut être une première réponse à ces exigences de diversité des habitats, mais le maillage des parcs et/ou espaces verts sur le territoire urbain est un complément indispensable au bon fonctionnement des éco-systèmes.

Le cas particulier des arbres

Le potentiel de biodiversité des arbres est proportionnel au nombre d’organismes qui lui sont directement  associés par des liens trophiques et/ou fonctionnels (recyclage des nutriments, mycorhizes, pollinisation, dissémination des diaspores, régulation des populations de ravageurs, etc ). Selon les espèces et leur âge, les arbres offrent un environnement plus ou moins favorable à la faune (refuge entre les branches ou dans les cavités, ressource alimentaire directe – pollen, fruits, feuilles – ou indirecte – exploitation des parasites de l’arbres – à certaines espèces d’oiseaux, d’insectes, de petits mamifères). Le potentiel biologique d’un arbre est directement lié à son mode de pollinisation et dissémination des diaspores (graines et fruits) et sa longévité (capacité à produire du vieux bois et des cavités).

  • Age du site

A l’image des vieux arbres dont la capacité à développer de « vieilles » écorces et des cavités au cours de leur sénescence sont des facteurs de renforcement de son potentiel biologique.c’est l’ensemble des milieux matures et stables qui abritent des espèces pérennes qualifiées comme plus « intéressantes » pour la biodiversité alors que les espèces de reconquête, espèces de durée de vie courte sont souvent qualifiée de banales. 

  • Type de gestion

Pour les espaces public, le mode de gestion adopté par les services des espaces verts participe au maintien (ou non) du potentiel de biodiversité d’un site.

  • Zonage au PLU

Le zonage du PLU est un critère permettant d’évaluer la pérennité des sites concernés face à l’urbanisation. Les zonages EBC et N étant considérés comme favorables, alors que le zonage U est à priori considéré comme défavorable.

Figuier sur le Vieux port – Marseille © VMure
© VMure
La Viste, Marseille ©VMure
Jardin urbain ©VMure

Alignement de micocouliers ©VMure
Jardin de la Fontaine – Nîmes ©VMure

[1]Seguin L., Nature en ville et changements climatiques. Capitale française de la biodiversité. Recueil d’actions de collectivités en faveur de la biodiversité. Plante & Cité, 2015, 136 p 5.

[2]Blandin P.,  Au leurre de la biodiversité? (2014). Victoires éditions – Vraiment durable p. 19-41.

[3]Magali Deschamps-Cottin et al. « Nature urbaine à Marseille : Quels possibles pour une trame verte ? » In Trames vertes urbaines, sous la direction de Ph. Clergeau & N. Blanc, Ed. du Moniteur, 2013.

[4]P.-O. Cheptou et al., PNAS 2008 ; 105 : 3796-3799

[5]La ville, la nature, et le temps qui passe… in TVB St Etienne, Coloco, Gilles Clément, V.Mure

[6]http://indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/indicateurs/niveau-de-prospection-naturaliste-dans-les-sites-remarquables

[7]Sandrine Liénard et Philippe Clergeau, « Trame Verte et Bleue : Utilisation des cartes d’occupation du sol pour une première approche qualitative de la biodiversité », Cybergeo : European Journal of Geography[En ligne],Environnement, Nature, Paysage, document 519, mis en ligne le 01 mars 2011, consulté le 23 juillet 2015. URL : http://cybergeo.revues.org/23494 ; DOI : 10.4000/cybergeo.23494

[8]Le statut d’indigénat des plantes est quelque chose de complexe, mettant en jeu différentes notions qui se complètent : 

  • ancienneté du taxon dans le territoire considéré (critère parfois difficile à appréhender), 
  • degré de spontanéité du taxon dans ses localités (influence des activités humaines dans le mode de développement du taxon), 
  • introduction éventuelle du taxon par l’homme dans le territoire considéré, rapidité du taxon à se mêler à la flore locale (capacité de naturalisation)

C’est la complémentarité de ces notions qui permet de donner la meilleure image du « statut » d’un taxon dans un territoire donné, mêlant l’itinéraire historique et géographique du taxon, et sa place actuelle dans la flore du territoire considéré. 

Il paraît donc clair que l’indigénat d’un taxon ne peut être caractérisé par un seul terme, mais par plusieurs. Source : Conservatoire Botanique National de Brest – Document technique Indigénat, juillet 2011 

[9]Cultivée (≠ spontanée) : Cas particulier d’une plante introduite intentionnellement faisant l’objet d’une culture volontaire dans les jardins, les parcs, les espaces urbains, au bord des routes.. Il peut s’agir d’une plante ayant fait l’objet de manipulations (cultivar) ou pas

Uncultivar est un taxon inconnu à l’état sauvage, qui est cultivé et qui provient d’une sélection exercée par l’homme à des fins d’amélioration de la production ou de la valeur ornementale du taxon. Le cultivar (cv. en abrégé) d’un taxon donné ne diffère de ce taxon que par une faible variation héréditaire, créée ou maintenue par l’homme. Un cultivar est susceptible de s’échapper de ses lieux de culture : il devient alors subspontané. Un cultivar issu d’une plante indigène ne peut être considéré comme indigène.Source : Conservatoire Botanique National de Brest – Document technique Indigénat, juillet 2011 

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