A l’ombre des platanes… Paysages du canal du midi

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A l’ombre des platanes… Paysages du canal du midi

A l’ombre des platanes… Paysages du canal du midi en décembre.

« Les francs bords, destinés à recevoir les terres provenant des recreusements, sont affermés en culture et toujours plantés de deux et quelques fois quatre rangs d’arbres. Les plantations tracent de chaque côté les lignes du canal, et forment ces beaux contours qui se dessinent avec grâce dans la plaine et sur les pentes des coteaux. Ainsi, réunissant à la fois l’utile et l’agréable, le canal se montre presque partout bordé de belles plantations d’arbres qui varient suivant la nature du sol, embellissent ses rives et concourent à leur conservation, en constatant en même temps cette bonne entente administrative qui n’exclut pas une sorte de luxe, toutes les fois qu’il est motivé.»

Le guide du voyageur, Comte de Caraman, 1836.[i]

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On le croit dominant, traversant fièrement le territoire, au dessus des terres riveraines. On le découvre tapi, à l’ombre, dans un écrin de verdure, se faufilant entre des talus dominés par la végétation. Un canal du Midi plutôt fragile, protégé par des plantations, des platanes majoritairement, qui imposent à tous leurs hautes silhouettes. Si cela n’a pas toujours été le cas – à sa mise en eau complète en 1681 les 240 km du canal du Midi n’étaient bordés que de terriers complètement nus – dès la première moitié du XVIIIème siècle, les francs-bords furent exploités. Cultures et plantations d’arbres commencèrent alors à occuper tout l’espace.

En ce début décembre nous étions donc partis à la découverte de ces paysages, à la recherche des traces d’une histoire récente, mais aussi d’une histoire passée, peut être dépassée… Non pas une histoire écrite avec les pioches, les pelles et la pierre, construite en dur et encore bien lisible, mais une histoire écrite avec des êtres vivants et donc par nature éphémères. L’histoire d’un paysage racontée par les arbres qui le composent.

Nous étions surtout partis à la découverte de ces fameux platanes dont les alignements focalisent aujourd’hui toutes les attentions. Des arbres de première grandeur, des platanes à feuilles d’érable (Platanus x acerifolia) issus de l’hybridation du platane d’Occident et du platane d’Orient. Celui là même dont Pline l’Ancien ventait les mérites au 1er siècle de notre ère : « Mais qui ne s’étonnera à juste titre qu’on fasse venir d’un monde étranger un arbre, uniquement pour son ombrage ? Je parle du platane (Platanus orientalis, L.), qui, apporté d’abord à travers la mer Ionienne dans l’île de Diomède pour le tombeau de ce héros, passa de là en Sicile : c’est un des premiers arbres exotiques qui ait été donné à l’Italie; déjà il est arrivé jusque chez les Morins et le sol qu’il occupe est même sujet à tribut, de sorte que les nations payent pour avoir de l’ombre. »[ii]

Dès son arrivée en France au XVIIIème siècle, en provenance d’Angleterre, le platane à feuilles d’érables connut le même engouement que son parent oriental au début de notre ère. Il le méritait bien ! Un arbre de belle-venue, facile, plastique, idéal pourrait-on même dire. Et puis avec un si bel ombrage…

Ainsi devint-il vite l’arbre des places provençales et des alignements de bords de routes. Et le canal du Midi n’échappa pas à cette mode. Au fil des ans, de Toulouse à Adge, dans chaque bief, les platanes vinrent remplacer les ormes champêtres ou les peupliers d’Italie qui étaient, jusque là, les essences les plus plantées sur les berges. Ils sont 447 en 1786, 30 728 en 1818 et aujourd’hui 42 000 (mais pour combien de temps encore ?).Ils sont alors abondants localement, économiques, exigent peu d’entretien, mais surtout, leur système racinaire, très développé, assure une excellente tenue des berges et leur feuillage imposant crée une «cathédrale d’ombre» bienfaisante pour la navigation, tout en limitant l’évaporation du miroir d’eau. Seule ombre au tableau, leurs feuilles, imputrescibles, envasent la voie d’eau. Les rapports de plantations de la Compagnie des chemins de fer du Midi, gestionnaire du canal dans la deuxième moitié du XIXème siècle, attestent de tout cela. Et si l’on rajoute à toutes ces qualités, dans un contexte de pénurie, leur générosité en bois de chauffe, on réalise combien les alignements de platanes du canal du Midi répondent en tout point aux préoccupations nationales de l’époque.

La lecture du Manuel d’arboriculture du Professeur Du Breuil[iii], ouvrage de 1865 destiné aux ingénieurs des plantations d’alignement, forestières et d’ornement, mais aussi ouvrage de référence pour les chefs de section du canal du Midi, permet d’en avoir la confirmation : « Les plantations d’alignements s’étendent de plus en plus sur le sol de nos routes et sur les bords de nos canaux (…) Là (sur les canaux), les plantations ne sont pas moins nécessaires. Elles abritent contre l’ardeur du soleil les attelages employés au halage, elles servent d’abri contre la violence des vents qui souvent deviendraient un obstacle à la navigation, surtout dans le Midi, enfin elles diminuent très notablement les effets de l’évaporation et par conséquent, protègent la masse d’eau nécessaire pour l’entretien des canaux.»

Un peu plus de trente ans plus tard, la circulaire du 21 avril 1897[iv] émanant du Ministère en charge des routes et des canaux, ne dit pas autre chose.

«Les plantations des routes sont extrêmement recommandables au triple point de vue :

  • De la conservation et de l’entretien des chaussées,
  • De l’ornement des chaussées, de l’agrément des voyageurs et de la circulation dans certaines conditions topographiques et atmosphériques,
  • Du produit financier des arbres.»

Les époques changent. Les alignements de bords de routes et de canaux, bien qu’aujourd’hui en péril, ont désormais acquis un statut de patrimoine.

Sur le canal du Midi ce statut n’est pas usurpé. Nul doute de la patrimonialité de ces arbres au même titre que les ouvrages de pierres.

En ce début d’hiver, exceptionnellement doux et ensoleillé, les platanes imposent leur présence, d’une beauté à couper le souffle. Leur feuillage mordoré, légèrement épars en cette saison, offre une ombre légère et frémissante à la surface de l’eau. Serrés les uns contre les autres, comme au garde-à-vous, leur alignement est magnifié par la clarté des troncs qui accrochent la lumière rasante des fins de journée. Tandis que les houppiers, aux allures torturées, aux formes presque humaines, s’élancent au dessus de l’eau comme pour rejoindre leurs congénères de la rive opposée, dans un élan désespéré.

Ils isolent ainsi le canal du monde extérieur, créant un univers singulier à l’abri de ses arbres. La vie s’y organise alors pour profiter au mieux de l’ombrage. Les cavaliers, contre les chemins de halage, sont devenus voies-vertes pour les adeptes de la circulation en modes doux : piétons, cyclistes, rollers…; les péniches d’habitation semblent tapies entre deux arbres ; les canards, des colverts, se sont appropriés le plan d’eau déserté l’hiver par les bateaux de plaisance et l’animent en lieu et place des touristes. La vie quoi !

Ainsi avons-nous découvert le canal du Midi et ses célèbres alignements. Mais, comme instinctivement, nous avons aussi vite compris qu’il nous fallait aller un peu plus loin, dépasser cette première vision du canal, et virtuellement gommer du paysage l’écrasante présence du platane (plus de 80% des alignements homogènes), pour laisser venir à nous une vision plus fine. Pour découvrir les autres arbres qui composent ce « parc linéaire », plus diffus certes, plus discrets, mais racontant une histoire tout aussi patrimoniale.

Comment ne pas être interpelé par ces fûts de chênes pubescents (Quercus pubescens), tous boursouflés, qui émergent à un rythme régulier des bandes boisées du versant atlantique ? Ces « émondes » difformes témoignent de pratiques aujourd’hui disparues, récoltes de fagots de bois répétées.

Comment ne pas être sensible à ces cyprès dodus (Cupressus sempervirens) dont l’âge, pour certains, doit frôler les deux siècles ? Alignés aux abords des écluses, ou fièrement dressés au seuil des maisons éclusières, ils marquent le paysage de leur silhouette élancée. Ils ponctuent chaque bief du canal, le long de son versant méditerranéen et signent la présence des écluses. Pas un arbre d’ombrage, celui là !… Pour sur ? Ce n’est pas l’avis de Jean Giono apparemment et il le dit de belle manière : « Son ombre étroite mais dense échancre la brûlure de l’été, il suffit alors d’un seul cyprès pour protéger un homme. L’un à l’autre unis, l’homme au tronc de l’arbre appuie ses épaules et attend, doublé de cette patience végétale, que l’heure ardente passe. »

Au total c’est presque cinquante essences de feuillus ou résineux que l’on peut rencontrer le long du canal du Midi : platanes, saules, peupliers, aulnes, tilleuls, noyers, chênes, frênes, pins parasol, cyprès… Et si tous ont une histoire à raconter, ils nous dévoilent aussi leurs points faibles, qui semblent pour beaucoup résulter de difficultés à s’adapter au XXIème siècle.

Des alignements qui se désorganisent, des arbres qui s’effeuillent… On pourrait accuser les changements climatiques ou un défaut d’entretien… Mais non, pour l’essentiel c’est un champignon (Cerastocystis platani) qui est en cause. Un champignon responsable du chancre coloré, maladie mortelle pour le platane, qui progresse inexorablement par la voie d’eau, à un rythme que l’on n’avait pas envisagé. Comment ne pas s’inquiéter de sa fulgurante évolution ? Détecté en 2006 à Villedubert, il avait contaminé 48 arbres en 2008, plus de 1300 fin 2010. Un an après, fin 2011, c’est un total de presque 2300 arbres qui sont condamnés. Et l’on peut facilement imaginer que le chancre n’en restera pas là… Signant la fin du platane sur le canal du Midi dans à peine quelques décennies.

En témoignent ces points et ces lignes sur les troncs des platanes, tracés à la bombe fluorescente, comme des signes cabalistiques, orange pour l’année en cours, vert pour l’année précédente. Sans même en connaître le code, on comprend vite qu’il s’agit là d’une écriture macabre, d’un mauvais présage, signes de la difficulté à maitriser l’inexorable progression de la maladie…

Les platanes disparus, qui assurera l’ombrage du canal du Midi ? Qui assurera la pérennité de ce parc linéaire ? Sept essences sont en lice[v]. Le copalme d’Orient (Liquidambar orientalis), le chêne des Canaries (Quercus canariensis) ou celui à feuilles de châtaignier (Q. castaneifolia), le pacanier (Carya illinoiensis) ou son cousin cordiforme (C. cordiformis) et deux autres encore. Tous des arbres de première grandeur, pouvant atteindre ou dépasser les trente mètres, capables de faire une belle voûte, de vivre longtemps et en bordure de la voie d’eau, et surtout non vulnérables à des parasites actuellement menaçant. Une expérimentation est lancée pour départager les candidats. Rendez vous dans une dizaine d’année, peut être un peu moins, pour en connaître le résultat.

Véronique Mure

Article paru en 2013 dans la revue « Jardin » n°4 dirigée par Marco Martella

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[i] – Guide du voyageur sur le canal du Midi et ses embranchements, sur les canaux des Étangs et Beaucaire et sur le canal latéral à la Garonne, 1ère édition 1836, 2ème édition en 1853, Réédité eb 1990, Georges de Riquet Caraman

[ii] Histoire naturelle, livre XII, Pline l’Ancien, 1er siècle de notre ère (ré-édition d’Emile Littré, Dubochet, 1848-1850)

[iii]- Manuel d’arboriculture des ingénieurs, plantation d’alignement, forestière et d’ornement. A. Du Breuil, 1865, Ed. Victor Masson, Paris

[iv] – Ces arbres qu’on aligne, Ministère de l’environnement.1986

[v] Cahier de référence pour une approche patrimoniale et paysagère des plantations du canal du Midi, V.Mure, Alep, Pousse conseil, EGeAT, Septembre 2012, VNF.

 

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