Nîmes, la ville-phare, par Jacques Maigne

Nîmes, la ville-phare, par Jacques Maigne

Ce texte est extrait de l’ouvrage « De garrigues en Costières – Paysages de Nîmes Métropole », Textes de Jacques Maigne, Photos de Gilles Martin-Raget, Actes Sud, 2005. Il est publié ici en hommage à mon ami Jacques dont j’aimais tant la plume, le verbe et la chaleur humaine.

« La ville vit, bout, s’étend, se transforme, s’interroge, se cherche, se souvient, s’enflamme, doute. Corps vivant. Corps changeant. Nîmes, selon les chiffres, n’a guère bougé intra-muros. Cent trente mille habitants, c’était l’évaluation de sa population il y a déjà longtemps. Mais ça ne veut pas dire grand-chose. Les Nîmois ont essaimé dans les communes alentour, et la galaxie des villages proches, ce premier cercle sous influence, est bien le prolongement naturel de la cité. Sa nouvelle peau. La vieille dame bimillénaire, née sous le signe de l’eau (Nemausus, sa source originelle, sacrée) mais sans rivière qui la traverse (les cadereaux, ces anciens torrents venus des garrigues, sont depuis des lustres des voies bitumées), feint de ne pas remarquer le remue-ménage. Une manie chez elle. Lovée dans le triangle de l’écusson, son cœur historique, vaguement blasée de la richesse d’un passé où elle s’est rêvée une fois pour toutes petite sœur de Rome, elle joue les belles langoureuses, mystérieuses, qui se moquent de l’air du temps. Le jeu est troublant, inspiré. Sous les lumières tamisées des micocouliers, les terrasses de café du boulevard Victor Hugo rejouent ad libitum la même scène rassurante d’une ville intacte, familière, bon enfant. Même sensation de bien-être, de bonhomie (un brin rebelle), au hasard des rencontres dans l’écheveau des ruelles, dans les allées colorées des halles vivrières ou sur les marchés des allées Jean-Jaurès. Un art de vivre, oui, qui semble résister aux tourmentes qui rôdent. C’est peut-être cette manière de ne ressembler qu’à elle-même, et depuis très longtemps, qui fonde l’identité de Nîmes. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Comme toutes ses consœurs méridionales où Rome a posé sa marque, cette ville-carrefour, aux confins du Languedoc et de la Provence, à la confluence des Cévennes et de la Camargue, est le fruit d’une longue et délicate alchimie, où l’Espagne elle-même, pas seulement côté taureaux, a fini par s’inviter.

En trois décennies à peine -une larme dans son histoire-, Nîmes s’est retrouvée au beau-milieu du flot, cité magnétique, au cœur d’une agglomération en plein chambardement. Et au-delà des nombreux symboles de cette petite révolution, c’est sa physionomie, et peut-être même quelques traits de son caractère, qui se modifient sous nos yeux. Au présent. Ce changement, c’est d’abord l’expansion de la ville vers le sud, là où ne cessent de s’étendre les vastes zones d’artisanat, de loisirs et surtout des enseignes de la grande distribution. Du coup, c’est toute la périphérie immédiate de la cité qui en est bouleversée, et renvoie à ces décors périurbains d’inspiration américaine qui fleurissent à l’identique aux quatre coins de l’Europe. Il y a d’autres signes, d’autres chantiers en cours, dont ces villas neuves qui, peu à peu, remodèlent par exemple l’apparence de la zone des garrigues (au nord) où les mazets traditionnels sont en voie d’extinction. Mais la vieille dame en a vu d’autres. Repliée sur la beauté orgueilleuse de ses monuments ou quelques trésors plus secrets, elle sait comme personne se ressourcer, se régénérer, se retrouver telle quelle. Humaine, très humaine, oui, et pour longtemps encore… »

Jacques Maigne, 2005.

© Gilles Martin Raget in « De garrigues en Costières – paysages de Nîmes Métropole », Actes Sud, 2005
© Gilles Martin Raget in « De garrigues en Costières – paysages de Nîmes Métropole », Actes Sud, 2005
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© Gilles Martin Raget in « De garrigues en Costières – paysages de Nîmes Métropole », Actes Sud, 2005
© Gilles Martin Raget in « De garrigues en Costières – paysages de Nîmes Métropole », Actes Sud, 2005
© Gilles Martin Raget
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© Gilles Martin Raget in « De garrigues en Costières – paysages de Nîmes Métropole », Actes Sud, 2005

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