Au plein cœur de cet été torride, où le besoin d’ombre se fait pressant, les arbres sont certainement de précieux alliés.
A chaque arbre son ombre nous dit Pline.
« Les ombres ont certaines propriétés, celle du noyer est fâcheuse et nuisible, même à l’homme, à qui elle donne mal à la tête, et elle l’est à tout ce qui croit alentour. Le pin tue aussi les herbes. (…) le cyprès n’en laisse point tomber : l’ombre de cet arbre est très petite, et ramassée sur elle-même. Celle du figuier, quoique étendue, est légère; aussi ne défend-on pas de le planter parmi les vignes.
Celle des ormeaux est douce, et même nutritive pour tout ce qu’elle couvre. Atticus pourtant la met aussi au nombre des plus nuisibles; je ne doute pas qu’il n’en soit ainsi quand on laisse les branches s’allonger, mais je crois qu’elle ne fait aucun mal quand les branches sont courtes. Le platane a aussi une ombre favorable, bien qu’épaisse il faut ici consulter non le soleil, mais le gazon, qui y forme des tapis plus verdoyants que sous tout autre ombrage. Le peuplier ne demande pas d’ombre, à cause du jeu de ses feuilles : celle de l’aune est épaisse, mais nutritive pour les plantes. La vigne se suffit : la feuille en est mobile, et, grâce a de fréquents déplacements, elle tempère le soleil par l’ombre, de même qu’elle sert d’abri contre une pluie battante. Presque tous les arbres dont le pétiole est allongé ont une ombre légère. »
Mais les arbres ne sont pas les seuls à nous offrir un abri estival. Dans le Midi, rosiers, vignes, glycines, grimpent à l’assaut des tonnelles sous laquelle se prolonge le repas de midi . Et que dire de l’ombre finement rayée des canisses (ou cannisses), grandes claies de cannes de Provence, les « canisso », déroulés sur une structure métalique souvent rudimentaire, qui protège la terrasse des rayons du soleil ?
Cette canne, Arundo donax, est une de nos plus grandes graminées (Poaceae) méditerranéennes. Elle se plait sur les bords de fossés et de cours d’eau. Avec son chaume haut de 2 à 5 mètres, d’une rigidité exceptionnelle, la canne de Provence a, dès l’Antiquité, été cultivée pour de multiples usages.
On trouve aussi, autour de Fréjus, sa cousine un peu plus petite, la canne de Pline, A. plinii Turra sensu lato, protégée sur le territoire français car en voie de disparition.
Il suffit de lire Pline, justement, pour comprendre l’importance que cette herbe géante a pu avoir pour l’Homme : « C’est le roseau qui décide les guerres de l’Orient : on y fixe des pointes en hameçon, qu’on ne peut retirer; des plumes rendent rapide la marche de cet instrument de mort; la flèche brisée dans la blessure devient un nouveau trait. Avec ces armes, les guerriers obscurcissent les rayons du soleil; aussi désirent-ils surtout des jours sereins; ils haïssent les vents et les pluies, qui les condamnent à la paix. Si l’on énumère les Ethiopiens, les Égyptiens, les Arabes, les Indiens, les Scythes, les Pactriens, tant de nations sarmatiques. tant de peuples de l’Orient, tous les royaumes des Parthes, on verra que la moitié du monde environ vit sous un empire immense par les roseaux.
C’est la confiance en ces armes qui a précipité la ruine des guerriers de la Crète. Mais en cela aussi. l’Italie l’emporte sur les autres pays; aucun autre roseau n’est plus propre à faire des flèches que celui qui vient sur les bords du Rhénus, rivière du territoire de Bologne; c’est celui qui a le plus de moelle, et assez de légèreté pour fendre l’air, comme assez de poids pour n’être pas emporté par le vent. »
Au XVIIe siècle, Olivier de Serres lui attribue des usages plus « domestiques » : « Pour l’utilité qu’on tire du service des rozeaux (sic) ou cannes, joincte la facilité de leur entretenement, sera le père-de-famille incité à se pourvoir abondamment de telles plantes. Des cannes, très proprement, l’on dresse ès jardins mille gentillesses, treilles, cabinets, barrières, et autres mignardises. On en faict des tables pour sécher dessus toutes sortes de fruicts, et y nourrir des vers-à-soye, lesquelles tables, en Languedoc et en Provence on appelle, canisses. »
Elle est bonne à tout faire dans le jardin potager. On la dresse en palissade pour protéger du vent, en tipi pour soutenir les plants de tomate, on l’étale sur les ombrières pour protéger les jeunes semis… Chaque jardinier du midi se devait d’avoir sa « cannière » à proximité du jardin. Récoltée en début d’hiver, elle sera ensoleillée tout l’été pour l’empêcher de développer une moisissure très allergisante pour qui la manipule.
Mais en dehors du jardin, c’est surtout ses propriétés sonores, l’aptitude de son chaume à chanter avec le vent ou avec le souffle des joueurs de flutes, clarinettes, hautbois, saxophones… qui lui donnent encore aujourd’hui ses lettres de noblesses. On se souviendra que la nymphe Syrinx pour échapper au dieu Pan, mi-homme, mi-bouc, s’était changée en roseau et que c’est par dépit que le dieu pastoral choisi plusieurs cannes pour en faire une flute… De la flute de Pan aux anches des instruments à vent, fabriquées en Provence, il y a eu plusieurs siècles, mais pas de très grands pas.
Les cannes de Provence marquent toujours notre paysage, dessinent les cours d’eau, et peuplent les fossés le long des routes de l’arrière pays. Mais seuls les jardiniers et les musiciens savent encore l’apprécier à sa juste valeur.
Il se fait tard, le soleil descend, l’ombre des canisses lentement s’étire…
Il n'y a pas de commentaires