L’impératrice et le botaniste, ou la passion de l’exotisme.

L’impératrice et le botaniste, ou la passion de l’exotisme.

A une époque où les plantes étrangères ne sont plus les bienvenues en France, il me plait d’évoquer des temps où les botanistes et les rois se passionnaient pour les plantes exotiques et leur acclimatation dans les jardins européens, souvent au prix de folles dépenses et de longs voyages.

Je pense à cette folle époque entre la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe où les explorateurs botanistes parcouraient la planète à la découverte de plantes, mais surtout d’un monde, inconnus d’eux.

Je pense aux célèbres complices Alexandre de Humbolt et Aimé Bonpland, qui vont parcourir ensemble, pendant quatre ans, l’Amérique latine ; à André Thouin, Grand maître de collections botaniques du Museum, spécialisé dans l’introduction et la culture des plantes exotiques, à Alire Raffeneau Delile qui s’illustra comme botaniste lors de la campagne d’Egypte, à Antoine-Laurent de Jussieu, à Augustin Pyramus Candolle…

Je pense à tous ces savants qui voyagèrent, s’écrivirent, s’échangèrent des plantes, tissant un réseau d’une incroyable richesse et nous laissant une œuvre immense.

Et à toute cette émulation se trouvèrent quelques fois mêlées des têtes couronnées… ce qui a, certainement, agit comme un catalyseur.

Je pense bien sur à l’impératrice Joséphine… Marie-Joseph-Rose de Tascher de la Pagerie qui de son origine martiniquaise, gardera toute sa vie le goût des fleurs. Marié avec Napoléon Bonaparte en mars 1796, elle achète le domaine de la Malmaison en avril 1799. L’année même où Humbolt et Bonpland s’embarquent pour l’Amérique latine… Elle a alors 37 ans, Napoléon rentre de la campagne d’Egypte et va se faire nommer Premier Consul.

A la Malmaison Joséphine va, à grands frais, s’adonner à sa passion des plantes exotiques et des jardins paysagers, faisant appel aux botanistes et jardiniers les plus qualifiés.

C’est ainsi que quelques temps après son retour d’Amérique, Aimé Bonpland, se verra confié le soin de poursuivre la description des plantes du jardin de la Malmaison. Un ouvrage, illustré par le peintre Pierre-Joseph Redouté, mais laissé en plan par le botaniste de Ventenat, tout juste disparu.

Un an après, en 1809, Bonpland était devenu l’intendant du domaine…

Grâce à lui, se développèrent à la Malmaison des collections végétales incomparables. Le parc et les serres chaudes ou tempérées, abritent alors des arbres remarquables, originaires d’Asie ou des Amériques, nouvellement introduits en France et des collections de plantes rares, bruyères, Protea, Banksia, Métroxyderon, Acacia, Eucalyptus… Si on connaît le goût immodéré de Joséphine pour les roses, un goût passé à la postérité grâce à la célèbre monographie de Redouté, on sait peut-être moins son rôle dans les introductions végétales et le développement de l’horticulture. Elle fut l’une des premières à s’intéresser aux dahlias, aux pivoines arbustives, aux camélias… Il semble que 184 espèces nouvelles aient fleuri en France pour la première fois dans les serres de la Malmaison de 1804 à 1814.

De cette époque, Mademoiselle Avrillion, sa première femme de chambre, rapportera dans ses mémoires : Lorsqu’il (Bonpland) fut placé à la Malmaison, il s’occupa à peupler les serres des plantes les plus rares, et l’impératrice prit avec une telle vivacité ce goût tout nouveau, que ce fut un surcroît de dépense très-considérable. On peut en juger par un seul fait : je lui ai vu payer trois mille francs un oignon de fleur dont je ne me rappelle pas le nom. Mais le goût de la botanique ne fut pas seulement un caprice, elle en fit un objet d’étude, et d’études sérieuses. Elle connut bientôt le nom de toutes les plantes, celui de la famille dans laquelle elles étaient classées par les naturalistes, leur origine, leur propriété[i].

La présence d’Aimé Bonpland aux côtés de Joséphine place la Malmaison au cœur du réseau de botanistes dont nous avons parlé et des jardins botaniques de l’hexagone, et bien au delà : le Museum de Paris, les jardins des plantes de Montpellier, de Toulon, de Monza… Bonpland lui donne des conseils de collections à visiter, rédige pour elle des notes. De son côté Joséphine établie des listes de plantes rares à faire venir.

En 1804 déjà, Joséphine signait de sa main un courrier adressé au sous-commissaire de Portsmouth

Paris, 1er février an 12

A Monsieur Cazeaux, sous-commissaire à Portsmouth

Je vous pris, citoyen sous-commissaire, de me procurer une collection de graines de l’Amérique septentrionale. 

Je veux multiplier en France les végétaux de ce pays, qui, par la température, a de grands rapports avec le nôtre. Pour arriver à ce but dont vous conviendrez l’utilité, je fais mettre en pépinière une partie des terres qui dépendent de Malmaison.

Là, seront cultivés les arbres et arbrisseaux exotiques qui se plaisent dans nos climats.

Le premier Consul voit avec le plus vif intérêt cet établissement naissant. C’est une nouvelle source de prospérité pour la France. J’aime à croire que je suis secondée dans mon entreprise et je compte beaucoup sur vos lumières et votre rôle patriotique.

Vous trouverez ci-joint une note des objets que je désire, et des précautions qu’il conviendra de prendre pour en assurer la conservation.

Joséphine Bonaparte

Une note accompagne le courrier :

Instruction concernant la collection de graine que demande Madame Bonaparte.

Madame Bonaparte demande une collection de graines de toutes espèces. Elle désire particulièrement qu’on lui envoie celles d’arbres et arbrisseaux capables d’être acclimatés en Europe et celles de plantes xxxx en herbacées qui ne sont pas encore connues des Botanistes. Elle invite tous les moyens du gouvernement français, résidents aux Etats-Unis d’Amérique, je la seconde dans l’exécution du plan qu’elle a conçu de naturaliser en France la plupart des végétaux de la partie septentrionale du nouveau continent.

Les frais de collection, d’emballage, de transport…etc, seront acquittés en France, on aura soin de faire passer la note à Madame Bonaparte.

Les caisses ou ballots, seront adressés au ministère xxxx des Etats-Unis pour le gouvernement français. On ne devra négliger aucune mention favorable pour « faire passer en Europe – tout retard serait très préjudiciable. »

Madame Bonaparte espère beaucoup du zèle de Mrs les commissaires et sous-commissaires et elle recommande particulièrement ses intérêts à Mr Pichon, commissaire général, qui, comme chef des agents du Gouvernement de la République française aux Etats-Unis, deviendra nécessairement le centre vers lequel aboutirons toutes les correspondances.

Dans le même registre, le 29 janvier 1812, Bonpland écrivait à André Thouin, Grand maître de collections botaniques du Museum, un courrier plein d’égards afin qu’il lui procure des plantes de pleine terre qu’il n’arrivait pas à trouver.[ii]

Malmaison ce 29 janvier 1812.

Monsieur,

J’ai commencé à Navarre une école des plantes de pleine terre que nous cultivons en Europe et désirerais me procurer les plantes suivantes que je ne puis avoir ni à Malmaison ni à Buzanval. Vous serez sans doute étonné de la longue liste que je vous adresse, mais je vous supplie de ne m’accorder que ce que vous avez en abondance et quand vous ne me donneriez pas un seul individu, je vous en aurais toujours la même obligation.

Je désire avoir deux ou quatre individus de chaque espèce.

Dans le cas, monsieur, où vous pourriez me procurer quelques- unes des plantes ci-dessus, je vous serais obligé de m’en faire connaître les noms, afin que cela me serve de guide dans les demandes que je suis en cas de faire.

Agréez, je vous prie, monsieur, mes excuses de la peine que je vais vous donner et croyez aux sentiments du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Bonpland.

Des 96 essences demandées, Thouin en envoya 17.

Ces échangent témoignent, non seulement de la dynamique en place à la Malmaison, mais encore, si l’on en juge par les écrits de Joséphine, de l’ambition d’en faire « une source de prospérité nationale ».

Des exemples célèbres illustrent la « générosité » de Joséphine en matière végétale. Ne dit-on pas que Chateaubriand, exilé en son domaine de la Vallée aux-Loups, se déplacera en personne à la Malmaison pour recevoir de ses mains un des deux pieds de magnolia à fleurs pourpres récemment introduit.

La mort soudaine de Joséphine le 29 mai 1815, arrivée comme la foudre, dira Bonpland, stoppera net cette belle dynamique.

Malgré les efforts du prince Eugène, qui avait hérité du domaine, pour retenir Aimé Bonpland, celui ci choisira de repartir en Amérique latine et c’est en Argentine qu’il meurt, un mois de mai, quarante trois ans après.

Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Malmaison © Véronique Mure

Cèdre Liban Malmaison © Véronique Mure

Cèdre Liban, dit Cèdre Marengo, planté en 1800 – Malmaison © Véronique Mure

Cèdre Liban Malmaison © Véronique Mure

Cèdre Liban, dit Cèdre Marengo, planté en 1800 – Malmaison © Véronique Mure

Impératrice Joséphine - 1814 © Véronique Mure

Impératrice Joséphine – 1814 © Véronique Mure

R. Cristata - Chapeau de Napoléon 1826  © Véronique Mure

R. Cristata – Chapeau de Napoléon 1826 © Véronique Mure

Hector Viger - La rose de Malmaison - © Musée de Marmottan-Monet

Hector Viger – La rose de Malmaison – © Musée de Marmottan-Monet

[i] Mémoires de Mademoiselle Avrillion, première femme de chambre de l’impératrice, sur la vie privée de Joséphine, sa famille et sa cour. Paris, 1833.

[ii] Hamy, Ernest-Théodore (1842-1908). Aimé Bonpland, médecin et naturaliste, explorateur de l’Amérique du Sud, sa vie, son oeuvre, sa correspondance, avec un choix de pièces relatives à sa biographie…. 1906.

 

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