A-t-on abusé du buis, Buxus sempervirens, le bois bénit, taillé droit, en boule ou en pyramide ou ne sais-je quoi encore ?
Certainement !
Mais comment en est-on arrivé là ? Comment est-il devenu un des seuls recours aux bordures des parterres, classiques ou non, ou à celui des topiaires ? Depuis quand cette suprématie ?
Grace à Pline nous savons qu’au premier siècle de notre ère le topiarius romain travaillait les buis, cyprès et lauriers en forme d’animaux sauvages et de figures mythologiques (…) Au rang des bois les plus estimés est le buis, rarement veiné, et jamais ailleurs que dans la racine. Du reste, c’est un bois pour ainsi dire dormant et silencieux, recommandable par sa dureté et sa couleur jaune. L’arbre lui-même est employé dans la topiaire. Il y en a trois espèces:
– le gaulois, que l’on fait monter en pyramide et atteindre une hauteur considérable;
– l’oléastre, bon a rien et répandant une odeur désagréable:
– le bois d’Italie, espèce sauvage, je pense, que la culture a améliorée: ce dernier s’étend davantage, forme des haies épaisses, est toujours vert, et se laisse tailler»
Mais c’est dans le Théâtre des plans et jardinages, contenant des secrets et des inventions inconnues à tous ceux qui jusqu’à présent se sont mêlés d’écrire sur cette matière, de Claude Mollet, publié en 1652 à titre posthume, que nous apprenons que le premier jardinier d’Henri IV n’est peut-être pas pour rien dans cette histoire.
En ce temps-là, nous dit-il, que j’ai commencé à faire les premiers compartiments en broderie, le plant de buis était encore fort peu en usage, parce que fort peu de personnes de qualité voulaient faire planter des buis en leurs jardins, de façon que je faisais planter mes compartiments en broderie de plusieurs sortes de plants de jardin qui faisaient diversité de verts. Mais d’autant que tels plans de jardin ne peuvent durer longtemps en ce climat de France à cause des deux extrémités, c’est-à-dire du grand chaud et du grand froid que nous avons. Si bien que c’était une grande peine et dépense de refaire et replanter les compartiments de trois ans en trois ans, qui m’a occasionner de faire recherche de plant de buis afin de n’être en cette peine de refaire si souvent. Or parce qu’il m’en fallait grande quantité, je faisais planter force boutures de buis en pépinières afin d’en avoir lorsque j’en aurais besoin. Si bien qu’en peu de temps j’élevais de forts bons buis en telle quantité que j’en pouvais avoir affaire.
En l’an cinq cent quatre-vingt-quinze le feu roi Henri le grand me commanda de planter le jardin du château neuf de Saint Germain en Laye, si bien que je fis planter tout de buis et aussi le jardin de Monceaux, ensemble le petit jardin qui est sur l’étang du château de Fontainebleau. Tous ces trois jardins furent plantés en la même année tout de buis qui sont encore à présent en bonne forme.
Et depuis plusieurs seigneurs de qualité se sont voulus servir de plant de buis pour planter leurs jardins dont la plus grande partie se sont voulus servir d’une espèce de buis qui est nain, ne prenant pas tant de croissance que le gros buis, et a la feuille beaucoup plus petite. Véritablement il est fort propre pour planter en ouvrages délicats, mais il est grandement sujet aux injures du temps, comme à la gelée et à la chaleur, et ne peut endurer la tonture si sujette comme le gros buis. C’est pourquoi je suis d’avis que le jardinier ne s’en serve s’il veut prendre le soin de bien planter le gros buis suivant les traces qu’il aura faites, et il s’en trouvera fort bien parce que les compartiments dureront longtemps. Pour les bien entretenir comme il faut, qu’il soit tondu deux fois l’année, à savoir une fois au mois de mai et l’autre fois en août. »
Dans le Théatre de l’agriculture et ménage des champs, Olivier de Serres évoquait déjà en 1600, à l’appui des dessins de son ami Claude Mollet, les figures complexes que l’on peut composer et les plantes utilisées pour les dessins de lettres, devises, chiffres, armoiries, cadrans, les gestes des hommes et bestes… tracés par des petits buissons de plantes odorantes et verdoyantes : myrte, lavande, romarin, buis, marjolaine, thym, hysope, sauge, camomille, menthe et même persil. Mais il précisait encore, qu’en raison de la fragilité de ces plantes qui se dégénèrent à la longue, leur sera préféré le buis, plus résistant, bien que son odeur ne soit pas agréable. Comme Claude Mollet, il le conseille donc pour sa grande durée, vivant fort longuement dans beaucoup de culture (…) dont les ouvrages s’en rendent comme perpétuels et toujours magnifiques.
Le buis acquit donc ses lettres de noblesse aux XVIe et XVIIe siècles dans les jardins des rois de France et ceux de leurs seigneurs. Et c’est beaucoup grace à sa rusticité et sa plasticité qu’il dût sa notoriété.
Au passage, il ne faut pas oublier qu’il connut aussi, aux mêmes époques, une utilisation plus rurale, notamment en région méditerranéenne… Il fut très recherché pour la litière des moutons, mais aussi comme engrais vert, ayant la réputation de fumer sur trois ans (la première année avec les feuilles, la deuxième avec les brindilles et la troisième avec les rameaux). Une fumure recherchée car lente et douce. Sans parler de son bois très dur propre à confectionner des pipes ou autres petits objets précieux. D’après les usages locaux du département du Gard de 1913, le buis se récoltait en garrigue et sous bois, tous les 4 ou 5 ans, en avril. Cette récolte était telle au début du XIXe siècle, qu’en 1818 le préfet du Gard prit un arrêté relatif à la conservation des populations de buis sauvages (A.D. Gard 7 M 32-33), interdisant les coupes. Aussitôt les maires demandèrent des exceptions à cet arrêté.
Le buis, un petit arbre qui possède donc maintes qualités et dont on a abusé depuis au moins cinq siècles en Europe…
La sanction à cette monospécificité ? Aujourd’hui attaqué par la pyrale (Cydalima perspectalis), un papillon de nuit asiatique dont les chenilles dévorent les feuilles, mais aussi par des champignons qui lui sont spécifiques (Cylindrocladium buxicola et Volubella buxi), le buis de nos jardins est en danger. Et avec lui c’est toute la structure des parterres de beaucoup de jardins classiques qui disparaît.
Alors par quoi le remplacer ? Comment diversifier la palette végétale des haies taillées au cordeaux, bordures et topiaires ?
Depuis longtemps, l’if, Taxus bacata, dont sont faits les topiaires de Versailles, était utilisé à cet effet.
Dans les régions les plus chaudes, les myrtes (Myrtus communis et la variété « tarentine » M.communis var. tarentina…), aux fleurs et aux feuilles délicatement parfumées, ont acquis toutes leurs lettres de noblesse. On pense, par exemple, à l’Alhambra de Grenade et à son merveilleux patio de los Arrayanes, la célèbre cour des Myrtes, crée par Youssouf 1er au XIVe siècle.
Plus récemment, au début du XXe siècle, fut introduit en Europe Lonicera nitida, un chèvrefeuille arbustif originaire de Chine. Avec ses petites feuilles ovales, il tente un minétisme avec le buis, tout en ayant l’avantage de pousser beaucoup plus vite que lui. Mais sa moindre longévité montre, à l’expérience, qu’il ne peut pas être une vrai réponse au problème.
A-t-on du recul sur le houx à feuilles crénelées, Ilex crenata var. dark green, régulièrement cité dans l’actualité horticole pour son feuillage proche de celui du buis ? Je ne sais.
En région méditerranéenne, le laurier tin (Viburnum tinus), est souvent utilisé et présente de grandes qualités, notamment pour sa résistence à la sécheresse. Ses limites ? Il finit toujours par devenir volumineux et est quelques fois sujet à des attaques de galéruque, un insecte coléoptère qui dévore le limbe des feuilles.
En poussant un peu plus loin l’examen des arbustes des garrigues, notamment ceux, comme le buis, à feuillage persistant, résistants à la sécheresse et répondant bien à la taille, on pourrait peut-être apporter un complément de réponse à la question des alternatives au buis.
Le nerprun (Rhamnus alaternus), les filaires (Phyllirea angustifolia, ou P.média) ou encore le pistachier lentisque (Pistachia lentiscus)… mériteraient certainement qu’on leur porte attention. De plus en plus utilisés dans les haies taillées et bordures de massif, ils composent de belles structures. Et quid du chêne kermes (Quercus coccifera) ? Trop épineux ?
La solution se trouve-t-elle parmi l’une de ces espèces ?
Aucune certitude quand à la réponse, sauf sur un point peut-être : La solution ne sera pas apportée par une seule essence mais par une palette végétale, par des compositions pluri-spécifiques qui éviteront que dans quelques années nos jardins soient confrontés à la disparition brutale d’une espèce dominante.
C’est la diversité qu’il nous faut rechercher comme alternatives au buis.
Véronique Mure
[…] A-t-on abusé du buis, Buxus sempervirens, le bois bénit, taillé droit, en boule ou en pyramide ou ne sais-je quoi encore ? Certainement ! Mais comment en est-on arrivé là ? […]
Bonjour, je découvre aujourd’hui votre site.
bravo pour les suggestions d’alternative au buis que vous faites pour les régions méditerranéennes et qui sortent de l’ordinaire. Nerprun, myrte, filaire et kermès sont de très bonnes suggestions à méditer. Bien vu ! Par contre, le pistachier lentisque, aux feuilles caduques ne peut à mon avis, pas en faire partie.
Bonne fin de journée
Benoit Charbonneau
Bio Jardin Services
Bonjour
Merci pour ce message. Vous avez raison pour le pistachier térébinthe qui a un feuillage caduque et ne peut donc pas remplacer le buis, mais le pistachier lentisque à lui un feuillage persistant c’est pourquoi je l’ai mis dans la liste.
Bonne fin de journée à vous aussi.
Véronique Mure