Deux ou trois petites choses de saison sur le lierre.

Deux ou trois petites choses de saison sur le lierre.

Que savons nous vraiment sur le lierre que l’on côtoie communément dans nos jardins sans y porter intérêt, si ce n’est pour essayer de s’en débarrasser ?

Ecoutons Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet de Lamarck dans son Histoire naturelle des végétaux, classés par familles […] Tome XI… (1803), nous en parler :

« Lorsqu’il est jeune il rampe sur la terre, et ses feuilles sont arrondies, anguleuses et échancrées en coeur. Dans l’âge adulte il grimpe le long des arbres et des vieilles murailles, au moyen de petites griffes qui collent ses tiges contre leur surface, et il s’élève ainsi à des hauteurs considérables.

Ses feuilles alors ne sont plus quelquefois anguleuses. Dans la vieillesse il est quelquefois debout, sans soutien, et ses feuilles supérieures sont alors entières et pointues.

Les anciens, induits en erreur par les diverses formes que prend le lierre suivant son âge et les lieux qu’il habite, en avoient mentionné une prodigieuse quantité d’espèces. Le lierre rampant, le lierre grimpant, le lierre en arbre, qu’on regarde encore aujourd’hui comme des variétés, n’en méritent pas davantage le nom, puisqu’ils ne sont que des individus d’une même espèce, à diverses époques de leur existence. Les variétés réelles de cet arbrisseau sont le lierre à feuilles panachées, et le lierre de Bacchus ou des poètes, dont les baies sont jaunes.

Le lierre étoit très-célèbre chez les anciens Grecs et Romains. C’est avec lui qu’on couronnoit les poètes. Les peuples de la Thrace, les Bacchantes en ornoient leurs thyrses, et en couronnoient encore leur tête pour célébrer les fêtes de Bacchus. Cette plante étoit consacrée à ce dieu ainsi que la vigne.

Parmi nous les marchands de vin en suspendent encore des couronnes devant leurs tavernes.

Quoique cet arbrisseau ne puise point sa nourriture sur les arbres qu’il couvre, il peut cependant leur être nuisible, en retenant l’humidité superflue qui pourrit l’écorce et on doit l’écarter avec soin de ceux que l’on veut conserver.

Hedera (Pl.) vient, selon les étymologistes, du mot latin adhoerere ; ainsi nommé parce que le Hedera hélix s’attache aux corps sur lesquels il grimpe. »

Que rajouter à cela, que le chevalier n’ait déjà dit ?

Insister sur la façon dont notre lierre était attaché à Dionysos (ou peut être l’inverse) ? Un Dionysos kissos (nom du lierre en grec) dieu du vin, protecteur des arbres, esprit de l’écorce et de tous les sucs vitaux, du renouveau printanier. Un dieu de toutes les exubérances mais aussi le dieu de la vie foisonnante, émergeant de toute contrainte ! Un dieu symbolisé à merveille par un lierre toujours vert et répandant sans répit ses rameaux avec une force végétative remarquable.

Les représentations de Dionysos sur les céramiques ioniennes, toujours associé à des guirlandes de lierre, témoignent du lien qui uni ces deux-là dès les VIème siècle avant notre ère. Les vases et amphores du potier athénien Amasis en sont un bel exemple ou encore le fameux Cratère, utilisé comme urne funéraire dans le tombeau de Deverni, ayant auparavant servi pour mélanger du vin et de l’eau. Daté des environs de 330-320 avant notre ère, la richesse de sa décoration est un hymne aux divinités Ariane et Dyonisos.

Mais ça, c’était il y a 2500 ans !

Aujourd’hui on peut dire que le lierre a perdu son aura ! Tombé de son piédestal, il est même devenu mal aimé. Peu utilisé en médecine, toxique, squattant souvent des supports (murs ou arbres) auxquels nous sommes « attachés », il nous incommode !

Et pourtant ne faudrait-il pas mettre en valeur ses supposés défauts ?

Prenons par exemple cette fameuse saponine, molécule contenue dans toute la plante et à l’origine de sa toxicité. Douées de propriétés tensioactives, les saponines font mousser leurs solutions et servent de détergeant. De là à les associer à la lessive… Qui se souvient que pour laver les vêtements noirs, assez nombreux dans les campagnes, puisque les femmes méditerranéennes ne portaient plus que cette couleur après s’être mariées, on utilisait une décoction concentrée de feuilles de lierre ou de saponaire ?

Tout cela n’est plus d’une très grande utilité me direz vous… Cela dit, vous pourriez, encore aujourd’hui, en faisant bouillir 100 g de lierre dans 2 litres d’eau plusieurs minutes et en pressant le tout, obtenir un liquide vaisselle tout à fait écologique.

Prenons un autre exemple. Cette exubérance végétale, cette capacité à recouvrir la matière, loin d’être une tare, peut, au contraire, se révéler protectrice, un régulateur thermique du meilleur effet, pour les maisons comme pour les arbres. Et foin de la rétention de l’humidité déplorée par le Chevalier de Lamarck, les spécialistes nous affirment aujourd’hui au contraire que le lierre absorbe l’excès d’humidité et qu’il a même une action chimique inhibitrice sur les champignons, bactéries ou parasites pouvant s’attaquer au tronc. Il favoriserait donc plutôt la croissance des arbres, lui apportant de surcroît un compost de qualité grâce à la décomposition de son feuillage…

Et puis c’est un formidable réservoir de biodiversité. Il sert de refuge à de nombreuses espèces. Les oiseaux trouvent là un foisonnement végétal idéal pour y dissimuler un nid. Mais aussi les papillons, comme le citron (Gonepteryx rhamni) qui se camoufle l’hiver dans son feuillage.

Sa floraison et sa fructification tardives le rendent également très attractif. Une abeille solitaire, l’abeille du lierre (Colletes hederae), totalement inoffensive, lui est directement liée. Une abeille active dès la fin de l’été jusque fin octobre. Sans parler du nombre d’oiseaux se régalant de ses fruits : grive musicienne, fauvette à tête noire, merle…

Il est donc grand temps d’en faire l’emblème du jardin, à l’instar de Dionysos qui, on se le rappelle, était un dieu protecteur des arbres, esprit de l’écorce et de tous les sucs vitaux et du renouveau printanier…

 

Graines de lierre ©Véronique Mure

Lierre dressé ©Véronique mure

Intérieur du lierre dressé ©Véronique mure

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