L’euphorbe et l’amandier – J. H. Fabre

L’euphorbe et l’amandier – J. H. Fabre

I

De la torpeur de l’hiver, si rude pour les pauvres, 
l’euphorbe déjà se réveille, 
et craintive, elle montre le nez à travers les broussailles 
pour voir à son entour, malicieuse avisée, 
si les gelées blanches et les bises 
des coteaux sont finies.

Tant que, dans le ciel bleu, des nuées cramoisies 
couvent le soir la gelée blanche, 
tant que ne sont pas crevés les soufflets du froid, 
prudente, elle n’ose pas, peut-être trop tôt venue, 
déployer sa pousse crochue 
et relever sa tige droite,

Mais, dans un tas de pierres qui donnera toiture, 
à ses fleurs noirâtres et puantes, 
front penché, elle attend, les pieds dans une couche 
de menues pierrailles. Cependant, oublieux de prudence, 
voici que soudain commence 
le fol enthousiasme de l’amandier.

Nous sommes en février ; il fait bon et tout à l’heure il fera froid ; 
le soleil rit, et puis se couvre ; 
il disparaît, revient, s’éteint. Alors, de ses boutons, 
l’amandier, le pressé, déploie les dentelles ; 
il se voile en communiante, 
il se fait nuage de coton.

Mousseline d’argent qui, dans sa gloire, 
éclipserait le blanc de l’ivoire, 
et qui, pour l’éclat n’a d’égale que la neige, 
velours de paradis, duvet tombé de l’aile 
de l’ange qui descend sur la terre, 
lui font merveilleux manteau.

Et quand toutes les fleurs blanches sont épanouies, 
quand la tête s’est arrondie 
en dôme qui frissonne à la brise du matin, 
rien d’aussi beau ! On dirait alors une assemblée 
de fées magnifiques campées 
sous des tentes de satin.

II

C’est la grande fête des champs. 
Mais qu’est ceci ? Sauvage maître, 
le mistral se lève, furieux, glacial ; 
il siffle, ronfle, met en pièces, écrase, 
déchire, tord le cou, meurtrit. 
Adieu les fleurs d’argent, les fleurs de paradis !

Qu’en dites-vous ? N’est-ce pas une honte, 
quand le gueusard de vent s’attaque, 
lui qui fait rouler les cailloux de la Crau, 
à l’élégante capeline 
de satin blanc et mousseline 
de l’amandier ? Seigneur, préservez-nous du mistral !

Fou généreux, tes fleurs si fraîches, 
où s’amassaient les rayons de miel 
d’une nuée d’abeilles, et que tu croyais faire bercer 
par le souffle amical de la brise, 
elles tombent en loques, les pauvres. 
Ah ! je te l’avais bien dit : trop pressé tu étais !

Cependant, l’euphorbe, en son coin, 
du mauvais temps ne s’inquiète guère ; 
elle attend, la méfiante ; et sa pousse rougeaude, 
qui pend sous les feuilles, 
tant que le mistral hurle, 
ne haussera pas le nez en déroulant sa crosse.

L’amandier sera sans amandes ; 
la Noël, sans nougat ; mais elle, 
gonfle d’âpre laitage qui pleure de ses noeuds, 
en paix elle épanouira la tête, 
et de beaux jours elle aura de reste 
afin de mûrir ses coques vénéneuses.

Jean Henri Fabre

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© Gilles Martin Raget in « De garrigues en Costières – paysages de Nîmes Métropole », Actes Sud, 2005

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