Cette communication a été présentée au cours de « 1ères rencontres de l’Arbre d’avenir en Méditerranée » qui se sont tenues du 12 au 13 novembre 2020 à l’initiative de l’association PaysSage, la Villa Thuret – INRAE, Hortis, AITF, Unep Méditerranée.
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Un des enseignements de l’histoire des arbres en ville
Dans la troisième édition du Traité pratique et didactique de l’art des jardins : paru en 1886, le Baron Enouf et Adolphe Alphand citent les 7 principales essences d’arbres des promenades de Paris :
le platane, le marronnier, le vernis, l’orme, l’acacia, l’érable et le paulownia. [1]
Force est de constater que les quatre premières sont aujourd’hui dans une situation délicate dans les villes. Soit elles y dépérissent (platane, marronnier), soit elles en ont pratiquement disparu (orme), soit elles en sont bannies (ailante).
Je ne vais pas détailler ici l’histoire récente de ces essences, je voudrais juste pointer du doigt les enseignements de l’histoire : En fait, la sur-utilisation en alignements monospécifiques de ces essences mais aussi les itinéraires techniques de plantation et d’entretien, ne sont pas étrangers, on le voit, à cette situation de grande vulnérabilité.
L’histoire des ormes (Ulmus sp) est en cela éclairante.
Massivement plantés dans les villes dès le XVIe siècle, arbres majestueux s’il en est, les ormes ont presque disparu d’Europe à la suite de propagation fulgurante de la graphiose, maladie fongique causée par un champignon ascomycète, Ophiostoma ulmi, lui-même disséminé par divers colépotères de la sous-famille des Scolytinae.
Rien, ni personne, n’a vraiment pu venir à bout de cette épidémie dont les prémisses survinrent à Paris dans les années 1970.
Aurait-elle eu le même impact si les acteurs de la filière horticole de cette époque avaient été attentifs aux mises en garde de François-Joseph Grille ? En 1825, celui ci alertait l’opinion, dans un ouvrage sur le département du nord, contre l’appauvrissement génétique des populations d’ormes trop volontiers clonés et/ou greffés au détriment de la richesse adaptative que permet le semis.
Les planteurs d’ormes se bornent trop souvent au moyen le plus facile, qui est de planter par rejeton et par éclats de racines ; mais ils en sont les dupes, et ils n’obtiennent que des sujets rabougris qui ne rapportent presque rien. On distingue au premier coup-d’œil, à la beauté de leur port et à la vigueur de leur végétation, les ormes de semis, et ceux à feuilles étroites greffés sur sujets écossais, dans les plantations d’agrément, dans les parcs, et sur les pelouses qui environnent les maisons de campagne. »[2]
Changer notre point de vue
L’histoire met ainsi en lumière que l’avenir des arbres en ville est conditionné par les modalités de leur accueil et la manière dont nous les traitons.
En même temps que nous faisons ce constat de fragilité de l’arbre en ville, la nécessité d’en accueillir de façon bien plus généreuse est patente pour, entre-autre, lutter contre les ilots de chaleur urbain, mais pas que… Je ne détaillerai pas ce point non plus, vous le connaissez bien.
Il est maintenant acquis que vivre à proximité d’un « espace vert » est bénéfique pour l’équilibre général des urbains et pour leur santé. Les personnes concernées ayant moins de risque de dépression, d’anxiété, de stress et de maladies respiratoires…. [3]
Si on connaît parfaitement les bienfaits de l’arbre pour l’homme, il me semble indispensable de mettre en parallèle les facteurs conditionnant la santé arbres en ville !
Renverser la problématique pour esquisser un début de solution.
Bien sûr les chiffres présentés ici sont fictifs (j’ai juste détourné l’infographie précédente pour établir le parallèle)
L’objectif de la promotion de cette infographie est clairement de ne plus jamais voir…
…ceci.
Une image, qui vous le savez, est malheureusement loin d’être une exception….
Je voudrai expliciter mon point de vue à la lumière de tout ce qui précède en le prolongeant par une question :
Comment habiter en arbre dans le monde des hommes ?
Nous le savons – les données scientifiques ne manquent pas – les arbres dans leur milieu naturel ne vivent jamais seuls (pour paraphraser Marc André Selosse). Ils ont besoin de « faire société ».
Nous savons aussi, au moins inconsciemment, que nous sommes intimement liés aux arbres, et plus généralement au règne végétal. Nous, genre humain, ne poursuivrons pas le voyage sans eux, sans leur présence bienveillante et salvatrice.
Malgré ce, nous devons prendre acte de la façon dont nous accueillons aujourd’hui le règne végétal dans la ville, et plus précisément dans les aménagements produits par nos sociétés carbonées, noyées dans le bitume.
Un accueil qui, vous le concèderez facilement, ne prend pas souvent en considération ces besoins.
Et au delà, pour reprendre les mots de Baptiste Morizot, nous devons prendre acte de l’appauvrissement de la relation que nous tissons avec le monde vivant. (…) on « n’y voit rien », on n’y comprend pas grand-chose, et surtout, ça ne nous intéresse pas vraiment (…) ça n’a pas de place légitime dans le champ de l’attention collective, dans la fabrique du monde commun.[4]
Une proposition face à ce constat de conditions de vie inadaptées des arbres en ville
En début d’année 2020, avec les paysagistes du collectif Coloco nous avons contribué à une vaste étude, dont les résultats ont été exposés au Pavillon de l’Arsenal, autour d’une question posée par l’agence d’architectes PCA-Stream:
Comment ré-enchanter les Champs-Elysées ?
Et plus précisément nous concernant,
Quelles essences pour renouveler le patrimoine arboré des Champs-Elysées dans ce contexte de changement climatique ?
Pour y répondre, nous avons souhaité élargir la question aux conditions d’accueil des arbres.
Notre travail s’est, entre autre, concentré sur la mise en avant des « solidarités biologiques » en particulier à travers un référenciel de lisière et d’écotone, pour amplifier les rapports symbiotiques entre les plantes.
Nous savons que la vitalité des arbres dépend des cohabitations s’établissant au niveau racinaire avec leur voisinage, grâce auxquelles ils développent des performances poussées (résistance au stress hydrique, aux parasites, taux de transpiration…).
Nous avons l’intuition que la diversification des palettes végétales urbaines peut permettre aux arbres d’établir un équilibre symbiotique pour favoriser le déploiement d’une « nature » urbaine résiliente.
Le choix des essences ne reposerait donc pas uniquement sur des listes d’espèces potentiellement adaptées à telle ou telle situation, mais se baserai sur des combinaisons accroissant leur capacité d’adaptation, leur rusticité et leur potentiel d’entraide, au delà des processus de mycorhize.
Il nous semble indispensable désormais de concevoir le paysage comme un système vivant, de l’appréhender dans sa globalité et non plus individu par individu.
L’enjeu est ainsi d’élaborer des cortèges phytosociologiques : des associations de plantes (arbres, arbustes, herbacées), capables de s’entraider pour former une communauté plus résistante aux variations du milieu.
Cette logique d’entraide, de symbiose, nous paraît bien moins illusoire que l’idéal d’un « super-arbre » capable de répondre à de multiples injonctions contradictoires de performance (peu consommateur d’eau, résistant à la sécheresse, générateur de fraîcheur et d’ombre, sans parler de ses qualités esthétiques…).
Cette manière de favoriser les services écosystémiques rendus par le vivant via la relation plutôt que la sélection, nous paraît être l’approche la plus cohérente pour imaginer une ville durable et résiliente face aux aléas du climat et aux agressions diverses.[5]
Véronique Mure, Botanique – Jardins – Paysages.
[1]Baron Enouf, A.A., 3èmeédition avec la collaboration d’ Alphand, A., Traité pratique et didactique del’art des jardins : parcs, jardins, promenades, Paris, 1886, P346
[2]Grille, F.J., Description du département du Nord, Ed Sazerac & Duval, 1825-1830
[3]Maas J. Morbidity is related to a green living environment.J Epidemiol Community Health. Published Online First: 15 October 2009. doi:10.1136/jech.2008.079038
[4]Morizot, B., Il faut politiser l’émerveillement. Itw par Nicolas Truong, Le Monde – 04 août 2020
[5]Catalogue exposition Champs Elysées – Histoire et perspectives, conçu par PCA Stream. Pavillon de l’Arsenal. Du 14 février au 10 mai 2020.
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