Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les orobanches sans jamais oser le demander…

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les orobanches sans jamais oser le demander…

Les grandes orobanches mauve pâle prenaient une éloquence inespérée dans le sable désolé du désert

(Gide, Feuillets d’automne, 1949, p.1084).

Je dois le confesser…

… j’ai arraché des orobanches.

Depuis longtemps et souvent.

Méthodiquement même.

Pour ma défense j’ajoute que c’était toujours par bienveillance pour un grand lierre au pied duquel elles poussaient. Pensant le débarrasser de cette étrange plante parasite, à la couleur indéfinissable.

A voir comment, chaque année, les orobanches réapparaissent, j’ai fini par comprendre que la maitrise de la situation n’était pas de mon côté…

Mais, les avais-je jamais vraiment observé ?

On ne voit d’elles qu’une inflorescence de fleurs sessiles* en épi, à la vague ressemblance avec certaines orchidées terrestres. Pas de vrai feuille, juste des écailles le long de la hampe florale. Pas de chlorophylle non plus. Des holoparasites* donc.

Le genre Orobanche appartient à la famille des Orobanchaceae. Une famille de plantes toutes parasites… proche des Scrophulariaceae (les digitales, les molènes, les véroniques) avec laquelle elles partagent quelques genres en fonction de la classification adoptée.

Les fleurs, nectarifères* et entomogames*, sont assez petites et zygomorphes*, à deux lèvres, d’une teinte incertaine, roussâtre, violacée ou blanchâtre… selon les espèces qui sont fort nombreuses et difficiles à distinguer les unes des autres.  Chacune vit sur les racines d’une plante déterminée, des Fabaceae (pois, trèfles, vesces, genets…), des Astéraceae (centaurées, crépis, séneçon…), des Lamiaceae (Thym, sauge, teucrium…), des Araliaceae (lierre)…

Dans sa flore, l’Abbé Coste en décrit environ 70 espèces dispersées çà et là dans les régions tempérées et chaudes des deux mondes. Précisant que ces plantes sont nuisibles au trèfle et aux autres plantes aux dépens desquelles elles se nourrissent.[1]

C’est à cet « attachement » aux légumineuses que fait référence son nom latin Orobanche (le même que son nom français). Etymologiquement il vient du grec orobos «ers, lentille, légumineuses» et anchein ou agcheïn «étrangler, étouffer».  Une plante qui tue les légumes… voilà ce que l’on entend quand on nous parle d’orobanche …

Pline, au premier siècle, ne dit pas autre chose :

Nous avons appelé orobanche une herbe qui tue l’ers et les légumes. D’autres la nomment cynomorion, à cause de sa ressemblance avec les parties génitales du chien. La tige n’a point de sang; les feuilles sont rougeâtres. On la mange ou crue ou cuite sur le plat, quand elle est tendre. [2]

Le médecin grec Dioscoride, son contemporain, l’a décrit comme tel,  tout comme l’avait fait le naturaliste Théophraste quelques siècles avant.

Il fut cependant un auteur au début du XIXe siècle, L.-C.-A. Frémont, qui, dans une longue Note sur l’orobanche de Dioscoride, contenant sa description, ses propriétés, les avantages qu’on peut retirer de sa culture, la preuve que cette plante n’est point parasite, des conjectures sur l’orobanche de Théophraste, etc…,[3] contesta les écrits de ces auteurs antiques, lesquels, d’après lui confondaient cuscutes* et orobanches.

Une chose cependant sur laquelle tous s’accordent est le fait que l’orobanche est comestible. La note de Frémont ayant même pour objectif d’en inciter la culture à grande échelle.

Plus près de nous, François Couplan, spécialiste des  plantes sauvages comestibles, nous dit qu’à l’île d’Yeux on suçait les pousses d’orobanches pour leur goût sucré. En Europe on fait blanchir certaines espèces à l’eau bouillante salée et on les consomme au printemps comme les asperges. Dans les Pouilles on les manges frittes après les avoir fait bouillir et laissées tremper à l’eau une journée entière…[4] Une découverte pour moi. Pour autant je ne suis pas sûre d’avoir envie de consommer les orobanches du lierre de mon jardin…

C’est par ailleurs une plante vulnéraire et émolliente.

Pour le botaniste Antoine Gouan[5], certains ont cru qu’elles avaient la propriété d’engager les vaches à recevoir les taureaux. D’après Frémont, d’autres disent que c’est le taureau qui, s’en étant rassasié, recherche les vaches[6] Bref, c’est l’un ou l’autre, ou peut-être, et encore mieux, les deux à la fois… Le fait est qu’en Italie cette plante s’appelle « herbe du Taureau ».

Mais qu’en est-il de ce parasitisme affiché par une absence totale de chlorophylle ? Maintes fois, en arrachant les inflorescences, j’ai tenté de voir comment se faisait le lien avec la plante hôte. Ce fut toujours en vain. A en désespérer de trouver la preuve d’une quelconque dépendance. Jusqu’à ce printemps, où, creusant dans le sol d’une plate bande, au pied du lierre, je « tombe » sur des pousses d’orobanche en formation. Un prélèvement délicat s’avère cette fois fructueux. A la base des jeunes orobanches, un faisceau de racines courtes et épaisses embrasse la racine d’une autre plante, le lierre certainement. Voilà le parasitisme établi.

Si l’orobanche s’accroche ainsi à ses hôtes pour se nourrir, elle s’accroche aussi à son territoire en produisant des milliers (les auteurs ne s’accordent pas tous sur un nombre exact et j’avoue ne pas les avoir compté moi-même …) de toutes petites graines très légères (un million de graines pèserait seulement un gramme[7]) à dispersion mécanique et au pouvoir germinatif d’une durée de vie très longue.

Pour autant les orobanches doivent-elles être considérées comme nuisibles ? Juste des pique-assiettes ? N’existerait-il pas quelques échanges réciproques dont le règne végétal est si coutumier, même si encore trop souvent méconnus ?

A suivre…

Faisceau de racines brunes et charnues de l’orobanche sur une racine plus claire de lierre

Faisceau de racines brunes et charnues de l’orobanche sur une racine plus claire de lierre

Jeune pousse d’orobanche

Lexique

Cuscute : Plante parasite à tige filiforme qui s’entortille autour de sa plante hôte finissant par l’étouffer.

Entomogame : Plante dont le vecteur de pollinisation est un insecte.

Holoparasite : plante totalement parasite à la différence des plantes hémiparasites qui ont gardé une certaine capacité de photosynthèse.

Nectarifère : fleurs qui produisent du nectar, en général pour attirer un pollinisateur.

Sessile : inséré directement sur l’axe floral, sans pédoncule.

Zygomorphe : fleurs à symétrie bilatérale.

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Planche Charles Lombardi XIXe ©Musée Histoire Naturelle de Nice

Notes :

[1]Coste, H. (Abbé), Flore descriptive et illustrée de la France,Tome 3 , second tirage, 1937.

[2]Pline  Histoire Naturelle, Tome Second, livre 22chapitre LXXX

[3]Frémont L.-C.-A (du Calavdos), Note sur l’orobanche de Dioscoride, contenant sa description, ses propriétés, les avantages qu’on peut retirer de sa culture, la preuve que cette plante n’est point parasite, des conjectures sur l’orobanche de Théophraste, etc.,Edition originale : 1807

[4]Couplan, F., Le régal végétal, Ed. Sang de la Terre, 2017

[5]Gouan, A., Traité de botanique et de matière médicale, Montpellier, 1804

[6]ibid

[7]Baumann, H., Le bouquet d’Athéna, les plantes dans la mythologie et l’art grecs. Flammarion, 1984

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