16 décembre 2017
« Botaniste et ingénieur en agronomie tropicale, je m’intéresse à la valeur patrimoniale des jardins et des paysages méditerranéens à travers l’histoire des végétaux qui les composent. Crée en 2010, mon entreprise individuelle Botanique-Jardins-Paysage, basée à Nîmes, est spécialisée dans l’étude de la flore, en particulier méditerranéenne et de ses liens avec les jardins et le paysage que ce soit d’un point de vue naturaliste, historique ou prospectif. Je réalise des expertises botaniques et accompagne les maitres d’œuvres ou les maîtres d’ouvrages, publics ou privés, afin d’ancrer les projets dans leur environnement à travers une palette végétale adaptée au site et répondant aux défis écologiques actuels (économie d’eau, adaptation aux changements climatiques, diversité biologique…).
Que ce soit dans mes missions d’analyse, de conseils ou d’interprétation j’œuvre pour donner toute sa place au vivant dans les jardins et les paysages. C’est une conviction que j’aime partager et transmettre par l’écriture, la photographie et l’enseignement. »
Sur la Méditerranée :
L’aridité du sol méditerranéen ne constitue pas une malédiction. Il convient à la beauté d’un tel paysage. Un peu moins sec, il s’affadirait, il fondrait dans une redoutable tendresse. Il perdrait sa rudesse inhabitable, indocile au labour, à la main de l’homme, à ses soins intéressés. Non, cette terre jamais n’enfantera : n’attendez pas d’elle de joyeux poupons, de fructueuses récoltes. Aussi stérile qu’une ville, mais sans que cette stérilité soit un accident de l’histoire, un concours de circonstances (…) Par miracle, une végétation encore plus têtue et aussi sèche qu’elle surgit de-ci de-là. Ces plantes ont autant d’orgueil que la terre où elles sont entrées comme par effraction. Elles ne demandent rien. Elles ne gémissent pas sous le vent. Elles ne quémandent pas l’eau dont elles manquent. Elles ne postuleront pas une place d’honneur dans un quelconque concours horticole. Quand cette terre s’amasse, elle prend la forme d’éboulis. Nous les devinons instables. Nous pressentons qu’ils ont interrompu, pour quelques millénaires, leur course et qu’ils la reprendront, quand bon leur semblera (…) Ce ne sont plus des bottes mais des espadrilles qu’il faut chausser afin de mieux rebondir et pour danser capricieusement de roc en roc. Marcher sur cette terre procéderait d’une extrême et condamnable inconvenance. En outre, ce serait risquer de perdre l’équilibre en boitillant ou en heurtant un caillou, une plante plus vivace et plus maligne. Pour qui possède le génie de ces lieux, ce sol est le plus bienveillant et le plus inspirant qu’il soit.
Pierre Sansot « Les pierres songent à nous ». Editions Fata Morgana
En 1876, Elysée Reclus, premier géographe à faire de la Méditerranée un objet d’étude autonome, qualifiait cette mer au milieu des terres, de « grand agent médiateur qui modère les climats de toutes les contrées riveraines et en facilite ainsi l’accès… ».Une mer-substance qui sert à l’échange (idée largement reprise par Braudel) mais aussi une « valeur ». Le regard qu’il porte sur la mer, se déplace alors d’une définition géophysique restreinte, à la prise de conscience d’un espace historique, économique et culturel. Un lieu d’histoire, organisé autour de la mer. [1]
L’adjectif « méditerranéen », apparu plus tard, en témoigne. Il est aujourd’hui associé à une mer, à un climat, à des régions, à une végétation, à des paysages… mais aussi à un monde…
Arrivés au stade actuel de cette histoire, le constat que nous faisons tous, est la mutation profonde et rapide de ces territoires méditerranéens de la rive nord (et nous ne parlerons que de cette rive), mais aussi de leur climat, de leur flore et de leurs paysages. Tous les paramètres sont réunis pour nous autoriser à parler de « crise »à l’instar de la définition qu’en donne Michel Serres[2]et pour lui l’importance de la crise est proportionnelle à la longueur de l’ère précédente qu’elle clôt.
En ce qui concerne la crise des paysages méditerranéens, le phénomène déclenchant semble être le départ des populations rurales vers les villes au cours du XXe siècle. Pour Michel Serres, l’épuisement brutal de la population rurale est l’une des ruptures les plus importantes et les plus rares du XXe siècle puisqu’elle termine une ère qui a débuté au Néolithique, il y a 10.000 ans.
En quoi ces paysages méditerranéens, la culture jardinière des méditerranéens, les stratégies de la végétation méditerranéenne, peuvent-ils être des exemples pour nous aider à changer de modèle ?
Depuis plus de 30 ans, mon travail tourne autour de ces questions.
Jardins de garrigue
Quand j’écrivais en 1995 « Jardins de garrigue » (0), j’étais loin d’imaginer que ces enclos promis à une disparition certaine avec l’évolution des modes de vie, pourraient se révéler d’actualité 10 ans plus tard.
Et pourtant… Installés dans un environnement très contraignant où l’eau et la terre sont des denrées rares et où la pierre, la chaleur, le vent et la sécheresse s’allient pour compliquer la vie du jardinier, les jardins de garrigue peuvent être considérés aujourd’hui comme un modèle des jardins écologiques.
Il suffit d’observer les techniques utilisées par le mazetier pour voir qu’elles répondent en tout point aux bonnes pratiques désormais préconisées. Sans jamais se départir d’une grande ingéniosité, il a su tirer parti des contraintes imposées par le lieu et le climat, usant de mille ruses pour retenir la terre, jouer de l’ombre et du soleil, se protéger du vent… Mais c’est certainement à la gestion rationnelle de l’eau de pluie qu’il est le plus attentif, maîtrisant ses écoulements, la stockant dans des citernes et bassins astucieusement répartis dans le jardin pour la réutiliser les mois de sècheresse, mais aussi abreuver la petite faune du jardin et encore garder les pieds au sec lors des orages d’automne. Alliés à l’emploi de plantes économes en eau, ces procédés se révèlent des plus efficaces pour la survie du jardin. A une époque où l’eau est un des enjeux du XXIème siècle et où son rationnement de en période estivale est de plus en plus fréquent, aucun de ces enseignements ne doit être négligé.
En matière de résistance à la sècheresse les plantes de la garrigue sont des championnes et en cela elles sont les partenaires idéales du jardinier. En été, pour se protéger des rigueurs du climat, elles se mettent en dormance, survivant grâce à leurs organes de réserve (bulbeuses et rhizomateuses), recroquevillant leurs feuilles (thym, romarin, cistes…) ou encore installant un paillage naturel à leur pied, issu de la chute des feuilles les plus anciennes (à ne surtout pas ratisser…) (cistes, coronille, buplèvre, arbousiers…).
A l’état naturel elles composent des paysages plutôt austères et difficilement lisibles. Il en va tout autrement lorsqu’elles sont mises en scène dans les jardins. Depuis toujours utilisées par le mazetier pour leurs vertus alimentaires, aromatiques et médicinales, elles acquièrent aujourd’hui le statut de plantes ornementales. Avec des feuillages persistants se prêtant bien à la taille, et des gammes de couleurs allant du gris au vert profond, sans oublier les senteurs puissantes qui en émanent, les plantes de garrigue rivalisent avec les plus belles horticoles. En jouant sur les associations de feuillages, les mariages de formes libres, en boule ou élancées, les contrastes de matière avec notamment les murs de pierre sèche, le jardinier fait alors naître des compositions d’un intérêt paysager certain, doublées d’un entretien facile. Buis, filaires, nerprun, laurier tin pour les plus grandes, buplèvre, thym, romarin, fenouil, armoise, rue, euphorbe, phlomis, germandrée petit chêne pour l’étage inférieur, se marient dans des agencements, graphiques ou foisonnants, selon l’inspiration du jardinier. Si les feuillages dominent par leur présence tout au long de l’année, les fleurs ne sont pas en reste au printemps. Coronilles, cistes, sauges, lavandes, badasse, lilas d’Espagne, mais aussi toute la gamme des plantes à rhizome et des bulbeuses : iris, cyclamen, scilles, muscaris, narcisses…. Et à l’automne c’est sur les petits fruits qu’il faut compter pour animer le jardin et ravitailler les oiseaux : Arbousier, nerprun, filaire, laurier tin.
Bien sur les plantes de garrigue ne sont pas les seules à se plaire dans nos jardins. Le climat méditerranéen étant présent aux quatre coins du monde (cinq plus exactement : Chili, Australie, Chine, Afrique du sud, Californie), au delà du pourtour de la Méditerranée on imagine bien que la végétation qui en est issue s’adaptera sans peine.
Depuis longtemps déjà, cyprès, lilas, arbres de Judée (De Pouzols, dans sa flore du département du Gard de 1862, le considère comme naturalisé le long du Gardon,), oliviers, amandiers, figuiers, cognassiers, spirées… font partie du paysage local. Mais bien d’autres espèces répondant aux exigences du climat et du lieu existent désormais dans le commerce. Les feuillages argentés y dominent : armoises, chalef (Eleagnus x ebbingei), liseron (Convolvulus cneorum), népéta, Sauge de Jérusalem (Phlomis fruticosa), santoline, oreille d’ours (Stachys lanata), germandrée (Teucrium fruticans)….
Dans ce vivier de matériaux « matériels » qu’offre la garrigue : les plantes, la pierre qui se transforme en le plus souple matériaux de construction … le jardinier puise également, comme l’évoque Patrick Bouchain[3], dans des matériaux « immatériels » tels la lumière et le vent pour organiser son jardin : Une tonnelle adossée à la bâtisse pour dispenser une ombre légère et protéger de la chaleur au plein cœur de l’été, une terrasse au couchant pour profiter des derniers rayons du soleil, mais aussi un coin à la « cagne » pour les jours de mistral.
Au final, si l’on s’en réfère à la description du « jardin à venir » de Gilles Clément [4], qui, nous dit-il,
s’accommode des conditions naturelles, exploite les matériaux locaux, réduit les transports et les dépenses d’énergie, inventorie toutes les manière d’utiliser l’eau avec discrétion, cherche le sens direct et simple du terrain, s’oppose au geste architectural venu en balafre dans le seul but de se montrer,
alors, il ne fait aucun doute que loin d’être un jardin en voie de disparition, le jardin de mazet est un modèle pour l’avenir…à se réapproprier, à revisiter.
Mémoire de garrigues
Avec Raymond Sarti, scènographe et Philippe Deliau paysagiste
Par bonheur pour le plaisir du voyageur né pour les arts, de quelque côté que sa vue s’étende, elle ne rencontre aucune trace d’habitation, aucune apparence de culture : le thym, la lavande sauvage, le genévrier, seules productions de ce désert, exhalent leurs parfums solitaires sous un ciel d’une sérénité éblouissante. L’âme est laissée tout entière à elle-même, et l’attention est ramenée forcément à cet ouvrage du peuple-roi qu’on a sous les yeux. Ce monument doit agir, ce me semble, comme une musique sublime, c’est un événement pour quelques cœurs d’élite, les autres rêvent avec admiration à l’argent qu’il a dû coûter.
Stendhal, Mémoires d’un touriste (3 août 1837)
Avec des hauts et des bas, exploitation du chêne vert, pastoralisme et agriculture en sec ont été pratiqués sur les sols caillouteux des collines méditerranéennes, depuis l’Antiquité jusqu’au début du XXème siècle, par tout un peuple de forestiers, bergers et travailleurs de terre, cumulant parfois ces trois fonctions pour améliorer leur subsistance.
Le paysage qui en résulte est le reflet de leur labeur, de leur organisation sociale, mais aussi de la spécificité du climat et des sols des régions méditerranéennes qui marient bien des contraires.
Pays aride qui laisse cependant partout deviner la présence de l’eau.
Pays de garrigue où les plantes à feuillage toujours vert, tantôt doux et velouté, tantôt dur et acéré, sortent des rochers.
En poussant plus loin l’observation on s’aperçoit que le travail de l’homme sur ce lieu, qu’il soit ingénieur romain ou petit paysan local, ne fut guidé que par un seul impératif : maîtriser l’eau. Agricole ou urbaine, c’est l’eau qui sou tend ce paysage. (…)
C’est au paysan méditerranéen, à sa ténacité pour produire coûte que coûte sur ces maigres terres et à son inventivité pour lutter contre les contraintes physiques, que nous devons ces paysages de pierres, de chênes et d’oliviers. Il a su grâce à une stratégie qui procède bien souvent de la ruse, non seulement protéger ses parcelles d’une pluie qui arrive en trombe au printemps et à l’automne, emportant tout sur son passage et surtout le peu de terre qu’il a pu amasser sur ce champs de cailloux, mais aussi capter cette eau au passage pour en faire des réserves pour la saison sèche. Capter, conduire, stocker l’eau sont les gestes de base de l’agriculteur méditerranéen. La pierre, omniprésente, qui « pousse » partout sans qu’on l’y invite, est alors le plus malléable des matériaux de construction, structurant un paysage devenu symbolique dont le motif de base est l’enclos.
Au final ce qui fait le paysage de nos garrigues c’est plus de mille ans de plantation et d’arrachage, de façon culturale et d’épierrement, de construction de murs et de capitelles, de terrasses…. et leur abandon au cours du siècle dernier.
Ce paysage patiemment façonné, à travers lequel la référence au passé transpire de toute part, n’a donc jamais cessé d’être en mouvement, fondé sur des équilibres fragiles dans lesquels l’homme a joué un rôle central.
Aujourd’hui cependant, avec la disparition des cultures et usages liés à ce territoire, l’évolution qu’il vit est en rupture profonde avec son passé. La forêt s’étend, l’homme y perd ses repères, la biodiversité diminue, la vulnérabilité aux incendies s’accroît…
Dans le même temps, au fur et à mesure qu’ils sont désertés par l’homme, ces espaces acquièrent le statut d’espaces naturels. Cependant on est loin ici des cloisonnements naturalistes où l’homme est exclu des systèmes naturels – la nature d’un côté ; l’homme de l’autre – Partout en méditerranée l’interaction entre nature et société est particulièrement sensible.
Des paysages du feu
Regard sur les pyro paysages avec Gilles Clément et Jordan Szcrupak :
Jusqu’à une époque récente, l’homme a considéré le feu comme un allié dans la gestion du territoire. Brûler la garrigue épineuse pour favoriser la repousse de la Baouque, l’herbe à mouton, ne constituait pas un crime mais plutôt une action nécessaire à la bonne gestion des pâturages.
Aujourd’hui les usages de la forêt méditerranéenne ont changé. La forêt n’est plus considérée comme un espace de production mais comme un espace naturel de loisir à forte valeur symbolique pour une population essentiellement urbaine.
Les incendies de forêt y suscitent alors des réactions contradictoires, éloignées des réalités, parce que l’imaginaire devient prédominant.
Par le choc de la disparition brutale d’un paysage, le feu suscite une prise de conscience de ce paysage qui subitement focalise tous les regards. L’après incendie est propice à l’expression des revendications sur le paysage.
De cette émotion, exacerbée par une médiatisation forte des incendies estivaux en région méditerranéenne, naît le sentiment général de disparition progressive de la forêt méditerranéenne. Or depuis le début du siècle, depuis la déprise agricole, l’abandon de l’exploitation des chênes verts, du pâturage et surtout depuis la mise en place d’une politique de reboisement basée sur de fortes incitations financières, on assiste à une forte progression des surfaces boisées, modifiant le paysage de façon spectaculaire.
Ainsi, le bilan de l’évolution forestière en PACA et Languedoc Roussillon montre un gain de plus de 220.000 ha de forêt en 80 ans – 1904-1984 – dont la moitié en chênes caducifoliés (Barbero 1990)
Question de temps
Plus que le feu lui même c’est la fréquence des incendies qui empêche le développement normal de la forêt
Après le passage d’un feu, le retour ou non à l’état initial constitue un enjeu écologique et paysager d’importance. Si l’incendie intervient dans un cycle de fréquence supportable pour l’écosystème initial, ce retour s’effectue. Dans le cas contraire, qui représente heureusement une petite minorité des cas, l’incendie aura transformé le paysage de façon durable, en supprimant l’état boisé (JP.Hetier 1996)
Notion de paysage :
La forêt méditerranéenne résulte de l’inlassable va et vient entre les effets des agressions naturelles ou artificielles et les périodes de reconquête.
Les paysages méditerranéens ont été façonnés par le feu depuis des temps immémoriaux, certains n’hésitent pas à dire que la forêt méditerranéenne est née du feu
Notion d’adaptation : Les plantes pyrophytes
Soumises périodiquement au passage du feu, la plupart des espèces de la garrigue savent y résister ou même en tirer avantage.
Le feu en courant à la surface du sol détruit les parties aériennes de la plante. Fort de ce constat, certaines d’entre elles comme le chêne kermes, le chêne vert ou le brachypode rameux (la fameuse herbe à mouton) vont développer leur organes souterrains afin d’émettre de nombreux rejets après le passage du feu et reconstituer au plus vite leurs populations. L’asphodèle quant a mis en place une stratégie qui consiste à enterrer année après année ses tubercules racinaires, où sont accumulées toutes ses réserves, les mettant ainsi à l’abri du feu. Le premier stade de recolonisation après le passage d’un feu est très souvent la prairie à asphodèle.
Certaines espèces encore, sans capacité de repousse après l’incendie, doivent développer d’autres stratégies de survie, notamment grâce à la capacité des semences à survivre au feu. Le Ciste de Montpellier, avec ses feuilles poisseuses très sensibles au feu, profite même de la situation car la germination de ses graines est favorisée par les incendies, situation similaire bien que dans une moindre mesure pour les pins.
Le jardin des migrations : une histoire du brassage des plantes et des cultures autour de la Méditerranée
Avec l’agence de paysages APS et Olivier Filippi
Le Jardin des Migrations, jardin public associé au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) a Marseille, a été conçu par l’agence A.P.S. installée à Valence (26) en association avec Olivier Filippi, comme un jardin « engagé » autour de deux idées fortes. Il est inspiré par la thématique des migrations des plantes autour du bassin méditerranéen, doté d’une exceptionnelle diversité biologique et culturelle. L’emplacement du jardin, au cœur du Mucem, dans le site exceptionnel du fort Saint Jean, renforce ce positionnement conceptuel. Il est également conçu comme un nouveau modèle de jardin méditerranéen, avec un choix de plantes et des techniques de plantation permettant de limiter son entretien (jardin en sec et sans pesticides). Il veut ouvrir la discussion sur la migration des plantes hier et aujourd’hui et leur rôle dans l’évolution des paysages. Son ambition est de donner des clefs au lecteur pour comprendre les enjeux et se positionner dans le débat actuel lié à la gestion et la sauvegarde de la biodiversité autour des questions de migration, de la dualité indigène-exotique et des plantes introduites potentiellement invasives dans certains milieux.
La botanique, les jardins et les paysages
En même temps que la science avance, et elle avance à grands pas, la botanique est de moins en moins enseignée, pour ne pas dire, plus enseignée du tout.
Par ailleurs, nos modes de vie urbains disloquent notre rapport « physique » avec les plantes (c’est vrai aussi du règne animal). Nous n’avons plus de lieu pour nous « frotter » au végétal et celui ci nous devient étranger. Les savoirs traditionnels s’effritent peut-être encore plus vite que la biodiversité. Et la connaissance n’est plus détenue que par des groupes de plus en plus restreints et de plus en plus spécialisés.
Je compare souvent ce phénomène à la pollinisation du figuier, Ficus carica. Depuis l’antiquité, les paysans méditerranéens savent que pour qu’un figuier produise les meilleures figues qu’il soit, il faut, à une époque précise, pendre des rameaux « fructifères » de figuiers sauvages, les caprifiguiers, dans les figuiers domestiques. Cette opération s’appelle la « caprification ». Dans les campagnes, tous les travaux des champs s’arrêtaient le moment venu, pour se consacrer à cette tache. On ne savait pas pourquoi il fallait le faire, on savait juste que le résultat en serait la récolte de meilleures figues…
Aujourd’hui, on sait…. Le processus de pollinisation du figuier est bien connu. Il met en jeu un petit hyménoptère du groupe des guêpes, le blastophage, pour fertiliser les fleurs du figuier domestique et produire ainsi des figues sucrées et juteuses. Il a été mis en évidence dans la deuxième moitié du XXe siècle. Il y a très peu de temps en somme.
Dans le même temps, on a perdu la connaissance empirique de la caprification et perdu l’intérêt pour le figuier. Pourtant il est un de ces arbres « civilisateurs » qui a accompagné les peuples méditerranéens depuis peut-être encore plus longtemps que l’olivier. [5]La figue (Ficus carica) n’aurait pas été domestiquée il y a 6 500 ans, mais il y a 11 400 ans, c’est-à-dire plusieurs milliers d’années plus tôt qu’il n’était admis jusqu’à présent. Une équipe de chercheurs israélo-américaine qui publie une étude sur le sujet dans la revue Science (1) souligne en outre que cette domestication se serait produite environ un millier d’années avant celle des premières céréales et des légumes. Les auteurs ont en effet pu avancer cette hypothèse après la découverte de fruits dans les couches fossilifères de plusieurs sites du néolithique dans la vallée du Jourdain. Le néolithique ou âge de la pierre polie a vu le passage du nomadisme à la sédentarisation. C’est à cette époque que les premiers éleveurs sont apparus et que l’agriculture a fait ses débuts. C’est aussi à cette époque que l’homme est devenu maître de son alimentation.
Cette histoire est, de mon point de vu, très éclairante des processus en marche pour la botanique.
Au siècle dernier nous avons massivement quitté les campagnes pour une vie urbaine, et ce faisant, nous avons perdu le contact avec la nature. Aujourd’hui cette connaissance de terrain, liée, non à un savoir encyclopédique, mais à l’expérience, nous manque cruellement.
Connaître les plantes, savoir les nommer, mais savoir aussi nommer les différentes parties des fleurs, des feuilles, des tiges, des racines, comprendre l’intérêt de la pollinisation et de la fructification, connaître leurs modes de vie et les liens qui nous ont unis à elles, nous permettraient de les intégrer dans notre environnement personnel, d’y porter de l’attention, de recréer du lien, de les voir comme des êtres vivants, tout simplement.
Il est temps de redonner à la botanique toute sa place dans les lieux de transmission des savoirs, à l’école, en enseignement supérieur… et dans notre vie quotidienne. Une botanique vivante. Une botanique qui nous permette d’appeler par leur nom les arbres de notre rue (quand il y en a), d’identifier les plantes des jardins que l’on fréquente, d’en connaître les textures, les odeurs… Pas une botanique telle que décrite par Alphonse Karr, romancier journaliste du XIXe siècle, qui en disait « La botanique est l’art de dessécher des plantes entre des feuilles de papier buvard et de les injurier en grec et en latin. »
Pas, non plus, une botanique comptable, perdue dans une écologie anxiogène, accumulant classements et évaluations, avec des critères pas toujours adaptés à la situation et offrant des perspectives généralement effrayantes pour notre avenir.
Non, je voudrais croire en une botanique qui ré-enchante notre lien avec la flore. Une botanique qui nous permette de ré ouvrir les yeux sur le règne végétal, ses modes de vie, ses besoins. Une botanique qui nous remette en empathie avec les plantes.
Si la botanique a pratiquement disparu des programmes des enseignements généraux, le jardin quand à lui, ne nous enseigne plus grand chose, non plus. Certes les éco-quartiers, les trames vertes et bleues, les jardins partagés, fleurissent dans les villes et sont de bon augure pour tisser du lien, mais dans le même temps je n’ai jamais vu autant de clôtures, de barrières dressées, au nom de la sécurité ou de la protection des végétaux, dans les parcs et les jardins publics, dans les espaces de nature. Une mise à distance qui nous éloigne toujours plus des plantes.
La ville peine à accueillir généreusement le règne végétal en son sein.
Je mesure tous les jours combien ce rapport sensible aux plantes nous manque. Je suis sûre qu’il est inscrit dans nos gènes, hérité de nos lointains parents arboricoles.[6]
Il est temps de recréer les conditions favorables à l’accueil du règne végétal en ville, de favoriser l’accès aux jardins et aux espaces de nature, pour renouer le lien.
Il est temps aussi de retrouver un enseignement vivant de la botanique, un alphabet du savoir, nécessaire pour accéder à la connaissance, afin que la botanique ne soit pas l’apanage de spécialistes mais l’affaire de tous.
Et comment ne pas voir l’urgence à mettre en œuvre ces deux « ambitions » à destination des jeunes générations ? Des études nous alertent sur le fait que les enfants, déconnectés de la nature s’en désintéressent et ne se battront pas pour la sauver. [7]
Alors mettons tout en œuvre pour que les plantes aient droit de cité !
Faisons une priorité des jardins dans chaque école et dans chaque quartier et de la botanique dans les programmes pédagogiques et les universités populaires.
Et portons un regard bienveillant sur ces êtres vivants que nous connaissons si mal.
Et là, peut être, étonné de l’amitié éprouvée pour un végétal, jamais ne s’estompera l’émerveillement de cohabiter avec un être d’une espèce différente. Si l’on ne perd pas de vue l’étrangeté de cette aventure, nous lui accorderons un prix inestimable… [8]
Expérience de paysage (FFP – Marseille) 16 décembre 2017 voir la vidéo
(0) Véronique Mure, « Jardins de garrigue », Edisud, 2007.
[1]Florence Deprest, « L’invention géographique de la Méditerranée : éléments de réflexion », L’Espace géographique 2002/1 (tome 31), p. 73-92.
[2]Michel Serres, « Le temps des crises », Ed. Le pommier, 2009.
[3]Onfray, M., Bouchain, P., Suite à la communauté philosophique – l’esprit du lieu, éd. Galilée, 2006
[4]Clément, G., Jones, L., ibid
[5]Le chercheur Finn Kjellberg, directeur de recherche au CNRSde Montpellier, a montré à partir de fouilles de sites du néolithique dans la vallée du Jourdain, que le figuier n’aurait pas été domestiqué il y a 6 500 ans, mais il y a 11 400 ans, c’est-à-dire plusieurs milliers d’années plus tôt qu’il n’était admis jusqu’à présent.
[6]Francis Hallé, La vie des arbres. Les petites conférences, éd. Bayard, 2011
[7]L’effondrement important de l’engagement des enfants avec la nature – qui est encore plus rapide que l’effondrement du monde naturel – est enregistré dans le livre de Richard Louv « Last Child in the Woods », et dans un rapport publié par le National Trust.
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