Il n’y a point d’orgueil dans un cèdre à se reconnaître le plus grand arbre des arbres;
Dans la famille des Pinacées, le genre Cedrus compte 4 espèces seulement. Un petit genre pour de grands arbres. Parmi les 4 espèces, c’est sans conteste le cèdre du Liban, Cedrus libani qui tient la vedette. Un conifère remarquable et remarqué depuis l’Antiquité figurant sur le drapeau de son pays d’origine, même si il y est devenu rare tant il a été surexploité. La forêt des Cèdres de Dieu, en limite de la Vallée Sainte de la Qadisha, abrite les derniers survivants d’une cédraie sacrée de l’Antiquité. Outre le Liban, son aire d’origine comprend également la Syrie et la Turquie. C’est dans ce dernier que l’on trouve, à l’heure actuelle, les plus vastes peuplements. Les monts Taurus sont réputés pour abriter des sujets exceptionnels de plus de 1000 ans, atteignant 55 m de haut et des troncs de 3 m de diamètre.
Ce cèdre compte parmi les arbres de première grandeur du monde végétal. Elancé dans sa jeunesse, il pousse vite durant ses premières années. Arrivé à l’âge adulte, vers 30 ans, sa cime prend une position horizontale ; on dit qu’il « fait la table ». Il dessine ainsi un port étalé, majestueux.
Le cèdre de l’Atlas, Cedrus atlantica, très ressemblant à son cousin du Liban, se trouve encore en grands peuplements dans les montagnes d’Algérie et dans le moyen Atlas marocain à des altitudes allant de 1200 à 2600 m. Il peut vivre jusqu’à 700 ans et atteindre 40 m de hauteur.
Plusieurs formes horticoles sont issues de cette espèce : le cèdre bleu, Cedrus atlantica ‘Glauca’ ; le cèdre doré, Cedrus atlantica ‘Aurea’ ; celui de forme fastigiée, Cedrus atlantica ‘Fastigiata’…Une mention particulière pour le cèdre bleu pleureur, Cedrus atlantica ‘Glauca Pendula’ de la Vallée aux loups, né sous la main experte de Gustave Croux, célèbre pépiniériste de la seconde moitié du XIXe siècle, alors propriétaire du lieu. Avec ces 680m2 d’envergure, il a été sacré plus bel arbre de l’année 2015.
Le cèdre de l’Atlas a parfois été considéré lui-même comme une sous-espèce du cèdre du Liban. La détermination des cèdres est un vrai casse tête pour les botanistes. Ils s’hybrident facilement entre eux, ce qui rend quelquefois l’identification de l’espèce impossible.
Le cèdre de l’Himalaya, Cedrus deodara, est, quant-à-lui, assez facilement reconnaissable avec ses longues aiguilles souples. Plutôt étroit et élancé, il peut atteindre 60 m. Très riche en résine, il est le plus parfumé des cèdres. Son nom dit ça… On le trouve dans l’ouest de l’Himalaya et en Afghanistan, entre 1800 et 3000 m d’altitude.
Enfin, le cèdre de Chypre, Cedrus brenifolia, est le plus petit du genre. Il n’atteint « que » 20 m de haut et peut donner l’impression d’être malade et chétif comparé aux autres espèces.
Le cèdre du Liban, un arbre à forte valeur symbolique
Si les cèdres nous sont familiers, c’est parce que nous les croisons souvent dans les parcs et jardins de l’hexagone. Beaucoup d’entre eux furent plantés au XIXe siècle. L’ethnobotaniste Josiane Ubaud [2] analyse sa plantation comme un marqueur social, utilisé contre toute rationalité (volume par rapport à l’architecture, proximité des façades, climat) ne servant qu’à attester du rang social du propriétaire et ornant donc les habitations de prestige. Le cèdre est voué au pouvoir et à la gloire depuis les temps bibliques (sa stature et son imputrescibilité en ont fait l’arbre des puissants et des justes, réputés incorruptibles). Il marque tous les châteaux, les propriétés viticoles, les hôtels particuliers, les bâtiments religieux… Les cèdres « ne font donc pas fonction d’objet mais fonction de preuve ».
Le cèdre est associé à la puissance depuis la Haute-Antiquité. Aussi loin que remontent les récits épiques, il tient ce rôle symbolique et est voué aux dieux. La noblesse de son port, son feuillage persistant, sa longévité, son bois odoriférant et imputrescible, ajoutés à son habitat de haute montagne, sont autant de qualités qui le prédisposaient à jouer ce rôle.
L’épopée de Gilgamesh, le plus ancien récit légendaire de l’humanité, écrits par des sumériens sur des tablettes d’argile, il y a plus de 4000 ans, offre les premières évocations des forêts sacrées et de jardins. Un épisode retrace l’expédition du roi Gilgamesh et Enkidou, son compagnon d’aventure, pour rapporter le bois précieux de la Forêt des Cèdres au Liban, expédition au cours de laquelle ils affrontent le géant terrifiant Humbaba, protecteur de la forêt.
Aux VIIe et VIe siècles avant notre ère les prophètes font de nombreuses références au cèdre qui est cité plus de 100 fois dans la Bible :
Les justes croissent comme le palmier, Ils s’élèvent comme le cèdre du Liban.Plantés dans la maison de l’Eternel, Ils prospèrent dans les parvis de notre Dieu, Ils portent encore des fruits dans la vieillesse, Ils sont pleins de sève et verdoyants. Psaumes 92,12-13 :
Les solives de nos maisons sont des cèdres, nos lambris des cyprès. Cantique des Cantiques (1, 17)
Une strophe qu’Origène, grand théologien de l’école d’Alexandrie, au IIIe siècle de notre ère, commentera ainsi : Le cèdre ne pourrit pas ; faire de cèdre les poutres de nos demeures, c’est préserver l’âme de la corruption
Un grand aigle, aux longues ailes, aux ailes déployées, couvert de plumes de toutes couleurs, vint sur le Liban, et enleva la cime d’un cèdre.4Il arracha le plus élevé de ses rameaux, l’emporta dans un pays de commerce, et le déposa dans une ville de marchands…11La parole de l’Eternel me fut adressée, en ces mot s:12Dis à la maison rebelle: Ne savez-vous pas ce que cela signifie? Dis: Voici, le roi de Babylone est allé à Jérusalem, il en a pris le roi et les chefs, et les a emmenés avec lui à Babylone. 23 Je le planterai sur une haute montagne d’Israël; il produira des branches et portera du fruit, il deviendra un cèdre magnifique. Les oiseaux de toute espèce reposeront sous lui, tout ce qui a des ailes reposera sous l’ombre de ses rameaux. Ezéchiel 17 (Livre des prophètes)
Le cèdre symbolise ici le juste, à la foi robuste et constante (Ps 92 : 12-15). La résine aromatique de son bois et sa renommée d’incorruptibilité ajoutent au symbole l’idée de pureté et de parfum agréable à Dieu. Il va jusqu’à être appliqué au Messie, à la fin de la parabole de la cime du cèdre élevé, qui deviendra par les soins de Jéhovah un cèdre majestueux, et des oiseaux de toute espèce viendront habiter à l’ombre de ses rameaux (Eze 17 : 22-24)
Mais si les auteurs bibliques voient en lui le symbole des grands et des puissants, peuples, chefs, ou rois, ils voient aussi l’orgueil humain, la démesure voire la tyrannie. L’homme altier, hautain, que tôt ou tard Dieu brisera.
J’ai vu l’homme violent dans toute sa puissance : il s’étendait comme un arbre verdoyant (Ps 37 :35). Le Seigneur brise les rameaux avec violence : les plus hautes cimes sont coupées, les plus élevés sont jetés bas. Il abat par le fer les taillis de la forêt, et le Liban tombe sous le Magnifique. (Esaïe 10, 33-34)
A noter que les naturalistes grecs et romains nommaient « cèdre » indifféremment le cèdre, Cedrus, et le genévrier-cade, Juniperus oxycedrus, peut–être à cause de leur propriété odoriférante commune. De ce fait des confusions entre les deux espèces sont possibles à la lecture des textes antiques.
C’est aussi le symbole de l’arrogance que reprend Jean Racine dans son Esther en 1689, en référence aux textes bibliques de l’Antiquité :
J’ai vu l’impie adoré sur la terre. Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux son front audacieux. Il semblait à son gré gouverner le tonnerre, foulait aux pieds ses ennemis vaincus. Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus.
Le cèdre, une essence ornementale et forestière recherchée :
Dès la fin du XVe siècle les européens s’intéressent à cet arbre si majestueux qu’est le cèdre du Liban.
On nous enseigne régulièrement qu’il fut introduit en Angleterre vers 1630. L’ancien ministre de l’agriculture, Michel Cointat, avance une date plus précoce. Un Cèdre aurait été planté en Angleterre vers 1580 par la reine Elisabeth I à Hendon Place, près de Londres. Il a été abattu par un ouragan le premier janvier 1779. [3]
A la même époque, en France, Nicolas Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), Conseiller au Parlement d’Aix en Provence, infatigable érudit et introducteur de plantes jusqu’alors inconnues, finance à la fin de sa vie, deux voyages vers l’Égypte et le Moyen-Orient. Il y envoie de 1625 à 1630, puis de 1631 à 1634 un religieux, le Père Théophile Minuti, Minime au couvent d’Aix en Provence, en lui donnant les instructions de s’enquérir des plantes d’Inde que les Mores de Barbarie appellent baobab, du dragonnier, du figuier d’Adam, de la noix de coco, des bulbes, oignons et belles fleurs d’Inde, de la tubéreuse, de la canne de sucre, des batatas, du cèdre du Liban… .[4]
Cependant il faudra attendre encore une centaine d’années pour que les premiers cèdres du Liban arrivent « officiellement » sur le sol français. Tout le monde connait l’histoire de Bernard de Jussieu, Conservateur du Jardin Royal, en voyage outre-manche, en 1734, avec l’intendant du jardin, Charles-François Dufay. Il en ramène deux jeunes plants ou peut-être plus…. La légende veut qu’ayant cassé le pot, les petits cèdres finissent le voyage dans son chapeau… Arrivé à Paris, il les plante avec soin. L’un d’eux vit toujours au pied de la butte du grand labyrinthe dans le Jardin des plantes.[5]
Dès qu’ils mirent une racine en France, les cèdres du Liban devinrent à la mode. A la fin du 18e siècle, chaque belle propriété se devait d’en avoir un ou plusieurs en bonne place dans son parc. Une mode qui s’étend aux villes au XIXe. Adolphe Alphand, grand « jardinier » du Baron Hausmann, n’est pas le dernier à le prescrire dans la capitale.
C’est aussi un cèdre du Liban que Joséphine fera planter dans le parc du château de la Malmaison en 1800 pour célébrer la victoire de Napoléon à de la bataille de Marengo,en Italie, le 14 juin de la même année. Cet arbre de mémoire mesure aujourd’hui plus de 5 mètres de circonférence et plus de 15 mètres de hauteur.
Après le cèdre du Liban, le cèdre de l’Himalaya fut introduit en France en 1822, puis quelques années après ce fut le tour du cèdre de l’Atlas. Pour ce dernier, certains scientifiques évoquent une réintroduction, car il aurait été présent dans le sud de l’Europe avant de disparaître lors des glaciations. Mais on parle là de centaines de milliers d’années.
En 1858, le peintre orientaliste Eugène Fromentin, alors en Algérie, témoigne de son admiration pour cet arbre dans ses œuvres picturales et littéraires. [6]
Les cèdres sont bas, mais très larges ; leur feuillage est noirâtre, leur tronc couleur de fer rouillé. Le vent, les neiges, la pluie, le soleil, qui semble encore plus âpre ici que dans la plaine, la foudre, qui de temps en temps les frappe et les partage en deux comme de fabuleux coups de hache, toutes les intempéries des saisons extrêmes les criblent de blessures mortelles, qui pourtant ne les font pas mourir. Leur enveloppe exfoliée les abandonne et se répand en poussière autour de leur tronc. Les passants les ébranchent, les bergers les mutilent, les bûcherons en font des fagots ; ils finissent petit à petit, mais avec l’intrépidité des choses vivaces ; leurs racines ont la solidité de la pierre qui les nourrit, et la sève, qui semble fuir devant les nécessités inévitables de la mort certaine, se réfugie dans les rameaux, qui toujours verdissent et fructifient. Nous nous assîmes au pied de ces vieux arbres respectables et pleins de conseils.
Plutôt frileux, sous nos latitudes, il ne pourra guère quitter la plaine, alors que dans son pays d’origine, on en trouve jusqu’à 1800 m.
Sous l’impulsion du vicomte Louis Etienne Héricart de Thury, l’un des cofondateurs de la Société d’Horticulture de Paris, (aujourd’hui S.N.H.F.), président de la Société royale d’Agriculture et directeur des travaux de Paris, le cèdre de l’Atlas acquiert ses lettres de noblesse en France. A partir de 1843, l’espèce est introduite à sa demande par l’inspecteur des Eaux et Forêts Gabriel-Victor Renou, fondateur du service forestier en Algérie. Elle intéresse les forestiers méditerranéens pour la plantation des terres incultes et le reboisement des massifs forestiers désertifiés, ruinés par la surexploitation, coupes et pâturage abusifs [7]. Ainsi des peuplements de cette époque sont-ils encores visibles sur les pentes du mont Ventoux dans le Vaucluse. Mais le cèdre de l’Atlas est surtout l’essence la plus importante du second volet du reboisement du mont Ventoux à partir de 1862. Celui ci est réalisé par semis à partir de cônes importés de l’Atlas algérien. Sur ce versant montagnard ivre de soleil, face au sud, dans une cascade de cailloux blancs où toute terre semble absente, le Cèdre, cet étranger de la mémoire des hommes, se faufile, s’introduit, s’immisce, s’intègre et colonise l’espace avec désinvolture.[8]
Bien qu’ayant souffert à plusieurs reprises des hivers rigoureux dans de nombreuses régions, le cèdre de l’Atlas se plaît sous le climat méditerranéen, particulièrement dans l’étage du chêne pubescent, Quercus pubescens. Mais il est capable de pousser partout en France avec un succès étonnant. Les forêts de la Sainte Baume dans les Bouches-du-Rhône, ou celle de Valbonne dans le Gard, témoignent également de cela. Pourtant cet essence forestière fut longtemps mal aimée et l’objet de controverses. Il a fallu presqu’un siècle pour en reconnaître les qualités techniques, sylvicoles et esthétiques.
A la même époque que les reboisements du Ventoux, les forestiers britanniques misent, quant-à-eux, sur le cèdre de l’Himalaya. L’Angleterre fait en ce moment une colossale expérience, celle du reboisement de ses montagnes et de ses plus mauvais sols au moyen de plusieurs espèces de Conifères et particulièrement du Cèdre de l’Himalaya (Revue horticole- 1er août 1853), bien supérieur par sa taille et par la qualité de son bois à la plupart des autres Conifères, nous donnant en cela un excellent exemple à imiter. [9]
Un bois de grande qualité :
Réputé imputrescible et très parfumé, les multiples qualités de leur bois rougeâtre, on l’a vu, ont failli causer la disparition des cèdres.
Leur résine odorante était utilisée au cours de l’Antiquité pour l’encens, la fabrication de cosmétiques, ou l’embaumement des corps.
Ils furent surtout très prisés comme matériaux de construction, que ce soit pour les temples, les palais ou les vaisseaux. Le palais de Salomon, en était fait, dit-on, tout comme la Croix de Jésus – avec l’olivier et le cyprès.
Une observation (…) qui a pour nous un grand intérêt, est relative à l’espèce d’arbre qui a fourni le bois employé dansla construction des palais de Ninive. On en trouve des solives assez bien conservées pour dégager encore, après trois mille ans, sous le tranchant de la scie, l’odeur résineuse caractéristique des Conifères. M. Layard suppose que ce bois est celui du Cèdre ordinaire (Cedrus Libani) et cela avec d’autant plus de raison qu’une inscription cunéiforme qu’on est parvenu à déchiffrer indique le Liban comme la provenant d’où il a été tiré, assertion conforme d’ailleurs à ce que nous lisons dans la Bible au sujet des bois qui servirent à la construction du temple de Salomon et qui passaient alors pour incorruptibles. Si cette supposition est fondée, le Cèdre ordinaire serait beaucoup plus durable qu’on ne le croit généralement; mais ne serait-il pas possible qu’il eût existé jadis, dans les mêmes localités, une autre espèce supérieure à celle que nous connaissons, et qu’une exploitation continuée pendant des siècles aura fait disparaître ? Cette conjecture n’a rien d’improbable, lorsque nous nous rappelons que deux espèces distinctes de Cèdres viennent d’être découvertes, croissant côte à côte sur certains points de l’Algérie. Oui sait même si cette seconde espèce n’était pas le Déodar lui- même ou quelqu’une de ses variétés? Au surplus, la question qui nous occupe sera peut-être bientôt tranchée, car des fragments du bois trouvé à Ninive ont été déposés au Muséum de Londres et sont à la disposition des micrographes qui voudront les étudier. [10]
Avec tant de qualité, à une époque où l’on se pose tant de questions sur les essences résilientes aux changements climatique, les cèdres vont, c’est certain, continuer à nous intéresser longtemps. J’en prends le pari !
Véronique Mure
3 avril 2020
[1]Valéry, P., Variété IV, 1938, p. 108.
[2]Ubaud J., Le jardin, reflet social, symbolique et culturel. In : Champs culturel n°17 pp 15-16
[3]Cointat, M., Le roman du cèdre,Rev. For. Fr. XLVIII – 6 -1996
[4]Durnerin, A.,Les grandes expéditions botaniques du XVIeau XIXe siècle et le transport des plantes in : Le voyage des plantes : Les jardins, acteurs culturels de la biodiversité – 2eCahier du Conseil national des parcs et jardins, 2008.
[5]Delange Y., Au Muséum National d’histoire Naturelle, trois siècles d’activités dans les serres du Jardin des Plantes de Paris – Revue Noesis, 2010.
[6]Fromentin, E., Une année dans le Sahel, journal d’un absent– Revue des deux mondes, 1858
[10]Naudin C., Revue horticole 1854
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