Une histoire des légumes du potager méditerranéen

Une histoire des légumes du potager méditerranéen

 

Des légumes ? Un mot à l’origine réservé aux plantes à gousses (les « légumineuses », aujourd’hui les Fabacées) qui a évincé au XVe siècle, la forme populaire leun et qui recouvre aussi bien des feuilles, des fruits, des tubercules ou encore des racines.

Les légumes ont suivi les pérégrinations des hommes sur la terre. A chaque époque, le potager méditerranéen raconte cette épopée.

Des légumes venus d’ici ou d’ailleurs.

Très tôt, certainement avant même toute idée d’agriculture et de jardinage, céréales, et légumineuses ont participé à l’alimentation humaine. On ne les appelle donc pas encore « légumes » mais ils nourrissent déjà nos antiques ancêtres.

Aujourd’hui le blé semé dans nos champs descend des blés du Proche-Orient, vieux de près de 10 000 ans.

Blés et orges, vesces, fèves (Faba pliniana), lentilles (Vicia lens), Pois chiches (Cicer arietinum), Gesses-chiche ou jarosse (Lathyrus cicera) retrouvés dans les fouilles d’habitats du Néolithique dans la montagne noire[1] interrogent encore les archéologues. Ces hommes qui habitaient là, il y a 7000 ans, étaient-ils les derniers chasseurs ou les premiers jardiniers ?

Il y a 3000 ans la dame de Caissargues, tout près de Nîmes, transformait les céréales en farine pour confectionner galettes et bouillies pour sa famille, cueillait des fruits, ramassait des légumes (lentilles, pois chiches, arbouses, glands, noisettes, noix, raisins sauvages).

Mille ans plus tard, les tables des sociétés gallo-romaines étaient garnies de blé, de pois, de raisins, de concombres, de pastèques, de poireaux, d’oignons ou d’ail.

Pline, dans son histoire naturelle (XIX, 23), au Ier siècle, nous dit que l’empereur Tibère aimait les concombres (Cucumis sativus, L) avec passion, et il en avait tous les jours; car les jardiniers, les cultivant dans des caisses munies de roues, pouvaient les exposer au soleil, et quand venait l’hiver, les retirer sous la protection des pierres spéculaires.

Il cité également des légumes avec des variétés spécifiques à la Gaule :

  • la Pastinaca gallica (XIX, 27-89) qui est une variété de panais (Pastinaca sativa L) ou une carotte (Dauca sativa L)
  • les Caepae gallicae (XIX, 32, 105) : l’oignon de Gaule (Allium cepa L)
  • L’Asparagus gallicus (XXI, 50, 86) identifié au criste ou perce-pierre (fenouil marin) (Crithmum maritimum L)

Rappelons que jusqu’à une époque récente, étaient nommées « asperges », toutes jeunes pousses consommées, qu’elles soient d’asperges sauvages, fragon, criste marin, vignes, clématites…

Tout au long du Moyen Age, le potager s’enrichit de « verdures » comme « poirée, choulx, poreaulx, navez, persin, cerfeuil… », mais aussi d’herbes, herbettes, potagères et autres vitailles [2],

Charlemagne nous en donne une vision dans le chapitre 70 de son Capitulaire pour les terres et fermes impériales, en 800 : “Volumus quod in horto omnes herbas habeant, id est …“ «  Nous voulons que l’on cultive dans le jardin toutes les plantes, à savoir : lis, rose, fenugrec, costus [balsamite, ou menthe coq], sauge, rue, aurone, concombres, melons, gourde, dolique, cumin, romarin, carvi, pois chiche, scille (oignon marin), iris, estragon, anis, coloquinte, chicorée amère, ammi, cherrys, laitue, nigelle, roquette, cresson (de terre ou nasitort), bardane, menthe pouliot, maceron, persil, ache, livèche, sabine, aneth, fenouil, chicorée, dictame, moutarde, sarriette, nasitort, menthe, menthe sauvage, tanaisie, dataire, grande camomille, pavot, bette, asaret, guimauve, mauve, carotte, panais, arroche, blette, chou-rave, chou, oignons, ciboulette, poireau, radis (ou raifort), échalote, cive, ail, garance, cardon, fève, pois, coriandre, cerfeuil, épurge, sclarée. Et que le jardinier ait au-dessus de sa maison de la joubarbe. »[3]

Des légumes alors classés en tubérifères ou racines, grains et potherbes

Des légumes dont certains sont arrivés jusqu’à nous et d’autres sont désormais oubliés, laissés au bord du chemin, comme la mauve, la bardane, le maceron, les chardons, ou la nigelle.

Des légumes alors associés à l’idée de pénitence, nous dit Florent Quellier [4], alors que la viande et les rôts sont associés à la force et à la virilité. La table médiévale renvoie à une hiérarchie sociale voulue par Dieu. Les fruits poussant plus près du ciel, sont classés bien au dessus des herbes et encore plus des racines, associées à l’ombre et réservées aux classes sociales les plus basses.

La Renaissance française sans rompre tout à fait avec les légumes du Moyen-Age, va ensoleiller les jardins potagers et les tables.

Lorsqu’elle quitte l’Italie en 1533, pour être unie au futur roi de France, Henri Il, Catherine de Médicis emporte dans ses bagages le brocoli ou encore l’artichaut dont elle est si friande. Les beignets de « cul d’artichaut », comme nommés alors, remplacèrent alors les « grenailles vertes » de fèves et autres pois médiévaux. L’histoire dit même qu’elle faillit un jour mourir d’indigestion, tant elle en abusait.[5]

Artichauts, melons, asperges… deviennent à la mode, réputés pour être légers et raffinés, discrets à la mastication et à la digestion, propre à une aristocratie soucieuse de délicatesse.

Mais si l’on en croit Thomas Platter qui voyage à Montpellier en 1595, le chou, « valeur sûre » de la cuisine depuis tant de siècle, n’en disparaît pas pour autant des repas.

« On vivait petitement dans la maison de mon maître ; la cuisine se faisait à l’espagnole … Les jours gras, à midi, on mange une soupe garnie de « naveaux » ou de choux ; elle est au mouton , rarement au boeuf ; le bouillon est peu abondant. On mange cette soupe avec les doigts , chacun dans son écuelle. A souper , on sert régulièrement de la salade (…)

Pendant le Carême , nous fîmes assez maigre chère. On servait d’abord une soupe aux choux préparée à l’huile ; puis de la merluche , espèce de poisson qui ressemble assez à notre morue. (…) A souper, même en Carême, nous avions une salade de laitue ou d’endive blanche, et parfois des oignons…

Des endives qui sont à cette époque encore de simples chicorées liées et serrées avant complète croissance pour leur donner une couleur blanche. Pas encore les chicorées « witloof », nos endives actuelles, crées semble-t-il par hasard au XIXe siècle.

Au début du XVIIe siècle, celui qui avait la chance de visiter le jardin de François Traucat, jardinier du midi de la France, pouvait y voir des laitues blanches, caulets cabuts et milanais, 68 « rèques » (raies) d’endives cabussades, six « rèques » de choux-fleurs, deux « rèques » d’apis de Levant, un gros fenouil, une « spalhière » d’artichauts, des « blete-raves », des melons, des roses de Damas… »Quelle différence – nous dit Emmanuel Le Roy Ladurie – avec les potagers du XVème siècle, ces mornes collections de « porres », « caulets » et « nabeaux »[6].

Mais toujours pas de tomates, d’aubergines, de courgettes et de poivrons dans le jardins potager…

Non pas que les tomates ne soient pas arrivées dans nos jardins au XVIIe. Cela faisait un siècle qu’elles avaient traversé l’Atlantique et que les espagnols les avaient introduites en Europe sous le nom de pomme d’amour. Mais si l’on en croit Olivier de Serres, elles y ont encore, qu’un statut de plantes d’ornement et une mauvaise réputation culinaire.

« Les pommes d’amour, de merveille, et dorées, demandent commun terroir et traictement, comme aussi communément, servent-elles à couvrir cabinets et tonnelles, grimpans gaiement par dessus, s’agrafans fermement aux appuis. La diversité de leur feuillage, rend le lieu auquel l’on les assemble, fort plaisant : et de bonne grace, les gentils fruicts que ces plantes produisent, pendans parmi leur rameure… Leurs fruicts ne sont bons à manger : seulement sont-ils utiles en la médecine, et plaisans à manier et flairer. [7]»

Sara Bak nous explique que si l’expérience gustative fait partie de la conquête, la qualité des fruits et légumes d’Amérique du sud sera associée à l’infériorité de son peuple… Une théorie encore véhiculée au XVIIIe siècle par Buffon et de Pauw.

Le XVIIe siècle est aussi le siècle du Potager du Roi, où la Quintiny à partir de 1683 procède à toute sortes d’expériences pour offrir au Roi des fruits et des légumes variés, tout au long de l’année : Salsifis d’Espagne, potirons, seize variétés de salade ainsi que le célèbre petit pois tant aimé du Roi! Mais honni par son médecin personnel Fragon. Une mode du petit pois que raillera Madame de Maintenon en 1696 par cette note perfide : « Le chapitre des pois dure toujours ; l’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé, et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours. »

Ce n’est qu’un siècle plus tard que tomates, haricots, courgettes poivrons, et aubergines, arrivèrent dans les jardins potager de méditerranée. Et pourtant ces légumes sont aujourd’hui synonymes de cuisine méditerranéenne, dont la ratatouille constitue le plus traditionnel et évocateur de ses plats avec sa version marseillaise, sans oignon : la Bohémienne (la Boumanio)[8].

Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la tomate « sauta » du pot de fleur garnissant les fenêtres de nos grands-mères provençales pour aller s’aligner dans les jardins potagers et les champs. Les premières exploitations françaises de tomates débutèrent à Barbantane, Châteaurenard, Mallemort, Perpignan et Marseille.

Il faudra également attendre le XVIIIe siècle pour que Antoine Augustin Parmentier, en offrant un bouquet de fleurs de pommes de terre à Louis XVI, attire l’attention du roi sur ce prodigieux tubercule, avant d’attirer la curiosité du « peuple » par un habile stratagème. La famine de 1789 cèlera son utilisation comme légume de base de notre alimentation.

Jean Henri Fabre en 1903 [9] nous conte par le menu comment il a validé l’origine américaine des haricots grâce à l’étude des brûches du haricot. D’après Hernandez dans De Historia plantarum novi orbis, au XVIe siècle, le mot de haricot est inconnu en France jusqu’à cette époque ; on disait fèves ou phaséols ; en mexicain, ayacot. Trente espèces de haricots étaient cultivées au Mexique avant la conquête. On les nomme encore aujourd’hui ayacot, surtout le haricot rouge, ponctué de noir ou de violet.

L’aubergine, quant à elle, serait connue depuis plus de 2 500 ans à travers l’Asie., mais peut-être originaire d’Afrique de l’est.[10] D’après de Candolle les Grecs et les Romains n’en avaient pas connaissance et aucun botaniste n’en a parlé en Europe avant le XVIIe siècle. Elle arrive en France plus tard, avec une très mauvaise réputation. On l’appelait « la pomme des fous ». Dénigrée par les médecins européens, l’aubergine était alors cultivée comme plante ornementale. Ce légume replet à robe violette tente la curiosité du roi Louis XIV qui demande à son jardinier d’en faire la culture. Malgré ce l’aubergine demeurera longtemps un légume méridional et l’apanage de la cuisine niçoise, andalouse, grecque et italienne et il faudra attendre le XIXe siècle pour le voir apparaitre dans tous les livres de cuisine.

Le XIXe siècle sera le siècle de l’amélioration…

Le siècle des engrais chimique, des variétés améliorées.

Au XXe siècle les guerres vont changer le regard des français sur les légumes. Par nécessité plus que par goût ; les choix vont allés à l’essentiel. En février 1943, le calendrier du jardinier dans le journal local de Nîmes, conseillait ainsi ses lecteurs : « avant de décider quels sont les légumes que vous cultiverez cette année, il faut vous rendre compte exactement de la superficie du terrain dont vous disposez.

On comptait autrefois 1 are de terrain par personne, mais on était pas alors à la carte ; on mangeait en abondance pain, œuf, lait, fromage, viande, alors que nous omms tous devenus végétariens par nécessité. Aussi est-ce 2 ares par personnes de terrain dont il faudrait pouvoir disposer aujourd’hui.

Si vous n’avez qu’un petit potager, surtout ne faites pas d’essais tentants qui risquent d’être infructueux et d’un maigre rapport (par exemple : artichauts). Renoncez aussi aux légumes qui occupent trop de place pour leur rendement (exemple : asperges, melons).

Limitez vos cultures à celle des légumes d’une réussite certaine. (…) Surtout faites : des oignons, échalotes. Tous les 15 jours des semis de salade. (…) Faites beaucoup de haricots à manger verts et à manger ramants. Renoncez aux flageolets qui est un luxe (… ) Faites beaucoup de carotte qui est un légume précieux (…) faites des navets… une belle planche d’épinard… N’oubliez pas qu’un tiers du potager doit être consacré aux pommes de terre nouvelles… »

Et puis les légumes ne sont pas toujours cantonnés dans l’univers domestique des jardins qui jouxtent les maisons. Proches des bois et des friches, le monde des champs leur est parfois aussi ouvert nous dit Christiane Amiel dans les fruits de la vigne.

« Dans un champ on faisait les fèves, les petits pois, le melons, on faisait les oignons et tout poussait, tout seul, sans l’arroser. »[11]

Le XIXe siècle marquera également la disparition de légumes désormais relégués en bord du champ. Le plantain, l’arroche, le chardon marie, l’ortie, la salicorne, le crithme marin, le pourpier… Plus de 50 espèces au total sont ainsi sorties du jardin potager. Seule l’endive « witloof », est apparue au début du XIXe siècle. Le premier cageot fut vendu aux halles de Paris en 1879 sous le nom d’« endive de Bruxelles ».

Et que dire du XXe siècle ? Que sont les jardins potagers devenus ?

Les quatre âges alimentaires de l’homo sapiens se sont déroulés avec une accélération exponentielle.

D’un âge de cueillette et de chasse qui dura jusqu’au début de l’agriculture au Néolithique, puis au passage à l’artisanat agroalimentaire à partir de l’époque romaine et enfin à la récente agro-industrie, quel parcours…

Aujourd’hui les filières de production alimentaire sont longues, intensives, spécialisées, concentrées, réglementées, financiarisées… [12]

Et nous perdons la mémoire et la connaissance des légumes… et nous avons peur de ce que l’on mange.

Malgré tout, émergent dans nos sociétés des systèmes alimentaires nouveaux, fait de circuits courts et d’agro-écologie, de valorisation des terroirs.

 © V Mure  © V Mure  © V Mure  © V Mure © V Mure  © V Mure  © V Mure  © V Mure  © V Mure

[1] Jean Vaquer et Michel Barbaza Cueillette ou horticulture Mésolithique : la Balma de l’Abeurador. In : Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale | Jean Guilaine, Jean Courtin, Jean-Louis Roudil, et al. CNRS Editions p. 231-242

[2] Mathon J.C. & Girault P.G., Des marais aux marchés, usages et images de plantes dans le journal d’un bourgeois à Paris (1405-1449) in Cahier du Léopard d’or, Flore et jardin, usages, savoir et représentations du monde végétal au Moyen Age. 1997

[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Capitulaire_De_Villis

[4] Quellier, F., Histoire du jardin potager, Armand Colin, 2012.

[5] Valérie Quezada De Talavera « Catherine De Médicis : De la fourchette, aux lames saignantes 2ème partie » 2010 in « l’Italie à Paris »

[6] Le Roy Ladurie ibid

[7] Olivier de Serres, Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Sixième lieu, chapitre X, Du jardin Bouquetier ou à fleurs, p. 562],

[8] La cuisinière provençale de JB Reboul, édit Tacussel, Marseille

[9] Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, 1903

[10] Michelle Jeanguyot, Martine Séguier-guis, L’herbier voyageur. Ed. Plume de Carotte, 2004.

[11] Christiane Amiel Les fruits de la vigne, Ed. Maison des sciences de l’Homme. Paris. 1985.

[12] Déclaration de Rennes : Pour des systèmes alimentaires territorialisés – 4 juillet 2014

Vous aimerez aussi

Il n'y a pas de commentaires