Grenadier, Balaustier, Miouganier, Arosse, Migranier, Miougranié, Baloufier. Grenade, Pomme Vénitienne, Pomme grenade, Pomme de Carthage, Balauste, Miougane, Arosse, Granata, Migrane… Que de noms pour ce petit arbre et son fruit !
Il faut dire que depuis des millénaires que l’homme s’intéresse à eux, il a été nommé et renommé, et ces noms racontent chacun une histoire.
Bien souvent, se souvenir du nom des plantes est un casse tête qui rebute. Mais, à y regarder de plus près, c’est aussi un exercice instructif.
Le grenadier en est un bon exemple. Examinons son nom scientifique, Punica granatum L.. Deux noms latins, donnés par Linné en 1753, en vertu des principes de sa classification binomiale. Un nom de genre et un nom d’espèce. Et dans ces eux noms là, toute l’histoire du grenadier et de ses grenades.
Punica, du latin punicus, punique, parce que le grenadier fut introduit à Rome au temps des guerres puniques au IIème siècle av.n.è., ou plutôt de puniceus, rouge écarlate, à cause de la couleur rouge de la fleur, nous dit l’abbé Costes.
Granatum, dérivé de granum (grain, graine) évoque son fruit regorgeant de graines, 613 exactement, si l’on en croit la religion juive. A l’origine malum granatum servait à désigner tous les fruits à pépins (cf. dict historique de la langue française). Le nîmois, Jean Nicot, devenu célèbre pour l’importation du tabac, employa le nom de migrainier, et migraine pour en désigner le fruit, probablement par contraction de « mille graines ».
Mais est-ce là toute l’histoire du grenadier ? Ne nous y trompons pas, ces dénominations peuvent aussi comporter des pièges. Alphonse de Candolle dans son « Origine des plantes cultivées » (1883) nous met en garde. Les arguments botaniques, historiques et linguistiques s’accordent à faire considérer l’espèce actuelle comme originaire de Perse et de quelques pays adjacents. La culture en a commencé dans un temps préhistorique, et son extension dans l’antiquité vers l’occident d’abord et ensuite la Chine, a causé des naturalisations qui peuvent tromper sur sa véritable origine, car elles sont fréquentes, anciennes et durables. J’étais arrivé à ces conclusions en 1855, ce qui n’a pas empêché de reproduire dans quelques ouvrages l’erreur de l’origine africaine.
Alors que retenir de tout ça ? De ce foisonnement de noms, de ces multiples voyages ? Une longue migration et des naturalisations tout autour de la Méditerranée, depuis des millénaires. De nombreux ouvrages et représentations de jardins, depuis l’antiquité, en témoignent. On peut, s’en mentir, l’affirmer, le grenadier, à l’égal de l’olivier ou du figuier, est une des plantes symboliques majeure de la Méditerranée. Même s’il est aujourd’hui un peu oublié.
Déjà, aux prémices de l’histoire des jardins, dans ceux de la Perse, le moderne Iran, le grenadier figurait parmi les fruitiers indispensables pour produire toute sorte de fruits.
Il figure sur les bas-reliefs égyptiens à partir du XVIème siècle av.n.è. et sur les peintures tombales parmi les fruitiers, figuiers et palmiers-dattiers, pour le « rafraichissement de l’âme du défunt durant son voyage ». On le retrouve sur la liste des arbres précieux rapportés d’Asie mineure connue sous le nom de « jardin botanique » gravée sur les murs d’une chambre du temple d’Amon à Karnak au XVème siècle av.n.è.
Il est, bien sur, dans le jardin d’Alcinoos, éden où règne l’abondance perpétuelle décrit par Homère au VIIème siècle av.n.è. « Aux côtés de la cour, on voit un grand jardin, avec ses quatre arpents enclos dans une enceinte. C’est d’abord un verger dont les hautes ramures, poiriers et grenadiers et pommiers aux fruits d’or et puissants oliviers et figuiers domestiques, portent, sans se lasser ni s’arrêter, leurs fruits; l’hiver comme l’été, toute l’année, ils donnent. »
Et aussi dans les célèbres jardins suspendus de Babylone au VIème siècle av.n.è., une des sept merveilles du monde antique. La tablette d’argile datant du règne de Nabuchodonosor II, conservée au British Museum, sur laquelle est inscrite en écriture cunéiforme une dette pour des grenadiers impayés, en témoigne-t-elle ?
Il est cité plusieurs fois dans l’ancien testament. C’était un des arbres fruitiers de la Terre promise. Les Hébreux l’avaient appréciés dans les jardins d’Egypte.
La grenade est encore mentionnée dans le Cantique des Cantiques. Pas moins de quatre fois ! Et Salomon qui en raffolait, l’utilisait pour tout au Ièr siècle av.n.è.. Il en avait fait planter dans tous ses vergers et les grenades ornaient aussi bien les bas-reliefs de pierre, que les colonnes du temple de Jérusalem ou que le bas des robes du haut clergé. Les grands prêtres ne pouvaient approcher du tabernacle sans avoir revêtu une robe à franges décorée de ses fruits.
On le retrouve au Ier siècle de notre ère, sur la magnifique fresque du nymphée souterrain de la villa de l’Impératrice Livia, 3ème femme d’Auguste, située près de Rome.
Et au Xème et XIème siècles, le grenadier est omniprésent dans les jardins mauresques, apprécié pour ces fleurs et ses fruits. Au XIIème siècle, Ibn Al-Awwan, le célèbre agronome andalou, le recommande pour ombrager les bassins, associé à des ormes, des saules ou des peupliers dans son traité d’agriculture.
Pour le Moyen-Age ce sont les manuels de santé, le Tacuinum sanitatis qui témoignent de sa présence.
Plus tard, c’est dans les fameux jardins de la fidélité, à l’ouest de Kaboul, jardins favoris de l’Empereur Bâbur, le fondateur de la dynastie moghole, que l’on trouve sa trace. En témoigne le récit des journées les plus belles couché dans les mémoires de l’Empereur, le Bâbur Nâmâ, en octobre 1519 : « Les pelouses étaient un tapis de trèfles, les grenadiers se doraient à l’automne et portaient des fruits rouges… ».
L’histoire des jardins le confirme, le grenadier a accompagné toutes les civilisations méditerranéennes. Il faut dire aussi que l’importance symbolique de la grenade est grande et complexe.
Depuis l’Antiquité, des pays méditerranéens à l’Asie, de part l’extraordinaire générosité en graines de son fruit, le grenadier est un symbole de fécondité, de fertilité, du mariage et de la reproduction.
Attribut de Dionysos (le grenadier est issu du sang du dieu, ses fruits mûrissent en hiver) et dédiée à Héra, la déesse du mariage, sœur de Déméter, déesse des moissons. Une histoire de famille quand on sait que Perséphone, fille de Déméter, s’est vue condamnée à vivre six mois par ans aux enfers pour avoir croqué six grains de grenade…
Dans le Christianisme, la grenade est associée à Marie et à la charité. Elle symbolise la force de l’Église et son unité. « De même que la grenade contient sous une écorce unique un grand nombre de grains, de même l’Eglise unit dans une seule croyance des peuples divers… »
Elle suggérait aussi la Passion du Christ : il faut ouvrir le fruit pour pénétrer à l’intérieur de la souffrance du Rédempteur et voir son sang couler pour l’humanité.
Au delà du symbole, les vertus de la grenade ont depuis toujours été utilisées en médecine. Selon la « théorie des signatures » mise au point par Paracelse, les graines de la grenade faisaient penser à des dents par leur aspect et leur disposition dans la pulpe du fruit, il était donc conseillé d’en croquer contre le mal de dents. Et le jus de la grenade, rouge comme le sang, était recommandé par les herboristes du Moyen Âge contre les troubles de la circulation et pour arrêter les hémorragies.
Le grenadier était également prescrit comme un précieux vermifuge, cité par Dioscoride et Pline. Barthélémy, botaniste anglais du XIIIème siècle témoigne : « les fleurs, le fruit et l’escorce, quand on en boit la poudre, tuent les vers qui sont de long temps au corps ».
Ce que l’on sait moins de l’usage du grenadier, c’est que la forme de sa fleur et de son fruit, appelés « balaustes », fut aussi source d’inspiration pour les artistes. Notre balustre en serait directement issu, tout comme les vases éponymes.
Tout cela pour un arbuste aujourd’hui un peu oublié… Et le sujet n’est certainement pas épuisé. Nous aurions pu parler de la grenadine de notre enfance, ou de bien d’autres choses encore. Mais il faut bien à un moment conclure.
Entendons juste ce que nous dit Pline de sa culture : « (il) perd même sa fleur par des rosées excessives et par du brouillard. Aussi les cultivateurs courbent les branches du grenadier, de peur qu’étant droites elles ne reçoivent et ne retiennent l’humidité nuisible » Ou est ce pour avoir plus de fruits ?
Un fruit à mille graines, mais mille histoires aussi… voilà de quoi nous donner la migraine…
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