Plantes en temps de guerre

Plantes en temps de guerre

 

C’était un lundi ; un de ces lundis de novembre avec un temps brumeux et frais. Le lundi 11 novembre 1918. Ce jour là toutes les cloches sonnèrent à la volée. L’armistice, marquant la fin des combats de cette guerre meurtrière, était enfin signée !

Coquelicots en Angleterre, bleuets en France, deux fleurs des champs, promptes à repousser sur les champs de bataille malgré l’horreur des tranchés, en incarnent le souvenir.

CPA_Bleuet_de_France_1914-1918

Associer les fleurs et la guerre, est-ce une drôle d’idée ?

En cette année de centenaire de cette guerre si meurtrière, le thème des plantes, des jardins, voire des paysages en période de conflit, émerge. Ainsi le jardin de Gilles Clément et Guillaume Morlans « Le sixième continent », autour de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne, le récent livre de Téodor Ceric – Marco Martella, « Jardins en temps de guerre », le discret mais très précis poster de la chercheuse Samira Mobaied sur l’importance des plantes pour la survie de l’homme en période de conflit armé, notamment en Syrie, à l’occasion d’un colloque de l’Unesco ou encore ce beau reportage sur les jardins secrets des camps de réfugiés syriens de Jessica Elgot, m’ont interpelé.

Je réalise alors combien de fois j’ai approché ce thème, sans que je n’y porte une vraie attention, le gardant juste dans un coin de ma mémoire, en marge.

Nous savons bien qu’en période de disette, les glands du chêne vert ou les racines de la chicorée sauvage servirent de succédanés au café, les réceptacles de la carline à feuilles d’acanthe ou du chardon Marie furent précieux pour remplacer les artichauts, la farine de tubercules d’asphodèle fut panifiée… Nos parents sont encore là pour nous le raconter et je le raconte à mon tour régulièrement.

Mais les relations des plantes avec les guerres vont bien au delà des usages alimentaires.

On sait le blé otage des guerres depuis toujours. J’en veux pour preuve la situation autour du pont du Gard à la fin du XVIe siècle. En 1575 non seulement les communes du diocèse d’Uzès durent subvenir à l’entretien des troupes du duc d’Uzès, (pour cela la petite commune de Fournès fournit 23 carreaux de vin, 2 000 pains, et 15 moutons, quant à celle de Saint-Bonnet elle livre 810 pains, 19 carreaux de vin, 9 moutons et salmées d’avoine…) mais la destruction des récoltes était une technique éprouvée pour remporter une victoire en affamant les villes, sans parler des nombreux dégâts occasionnés dans les champs de blé par le passage des troupes. Ainsi Jacques de Crussol, duc d’Uzès, mit ses troupes en campagne fin juin 1575, « dans le dessein de faire un dégât général aux environs de Nîmes pour que les habitants ne puissent pas profiter des blés dont la récolte étaient prochaine… Durant la nuit du 27 au 28, il s’avança jusqu’aux aires de Nîmes, sur les onzes heures du soir, fit mettre le feu à toutes les gerbes et commit autour de la ville des dégats énormes. Il fit de même aux environs d’Uzès et de Beaucaire »[1].

Brûler la récolte, brûler les arbres, un acte de guerre qui s’est perpétué jusqu’à nous.

Que dire de ces milliers d’oliviers brûlés tous les ans en Palestine ? L’olivier, symbole de paix, qui devient le symbole de la lutte entre les deux camps.

L’arbre au cœur de la guerre !

Il fut un temps (long) où l’on a exploité les arbres de nos forêts domaniales pour construire (beaucoup) les vaisseaux de marine. La ressource devenue rare, de toutes parts, s’élevèrent des voix pour demander l’arrêt des déboisements massifs et la mise en place d’une politique nationale de replantation. Au XVIe siècle les intellectuels prirent fait et cause pour la forêt. En 1670, Jean-Baptiste Colbert, considérant que «la France périrait faute de bois», décide du réaménagement de la forêt du Tronçais qui est alors dans un état lamentable ; des plantations et semis y sont fait en vue de la production de bois de marine sur un cycle de 200 ans… On pourrait écrire une histoire sans fin des forêts en temps de guerre. Elle existe déjà, certainement.

Les arbres du canal du Midi, de Toulouse à l’étang de Thau, ont participé à cette histoire, à leur manière. Une histoire qui ne nous parle pas que de beauté… une histoire qui raconte aussi la guerre.

Au début des années 1800, les alignements du canal, alors composés essentiellement de peupliers, sont abattus massivement. Le nombre total d’arbres diminue de plus de moitié. Entre 1801 et 1802 environ 50.000 arbres sont coupés et vendus. A peu près 90.000 seront coupés jusqu’en 1813. Outre les vols d’arbres pendant la période post-révolutionnaire, les raisons de ces abattages massifs restent encore floues.

On pourrait faire un rapprochement, peut être hasardeux, avec les campagnes napoléoniennes qui sévirent de 1800 à 1815. Seule certitude, une reconnaissance de dettes de la part du gouvernement portugais pour avoir coupé des arbres le long du canal du Midi dans la région de Toulouse afin de traverser le canal, en 1814, durant une bataille des armées napoléoniennes contre la coalition anglo-hispano-portugaise.

Au siècle suivant les arbres du canal du Midi, majoritairement des platanes cette fois, furent également « réquisitionnés ». Un courrier du 26 avril 1927, de l’Inspecteur-Adjoint des Eaux et Forêts adressé à l’Ingénieur en chef des Ponts et chaussées, fait état des besoins probables de bois d’œuvre en cas de guerre, plus élevés que ce qui avait été cru tout d’abord. Il prescrit un recensement général des ressources utilisables pour les exploitations forestières de guerre en comprenant, dans ces ressources, les plantations d’alignement, routes, canaux et haies.

Demande est faite à l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de transmettre aussitôt que possible, le nombre approximatif de mètres cubes de bois d’œuvre, par catégorie d’essences, que pourraient produire les arbres situés le long du Canal du midi et autres canaux compris.

Au mois de juin 1946 c’est une demande de mobilisation de bois sur pied qui est adressée aux services de navigation par le centre militaire des bois de guerre, dépendant du Ministère de la production industrielle et des communications.

En parallèle, l’Etat considère d’intérêt national de remplacer et renouveler les arbres le long des routes et des canaux. Un programme de plantations pour le renouvellement et le développement des alignements situés en bordure des routes nationales et des voies navigables est mis en place.

Cependant, en 1949, les crédits mis à la disposition du Ministère des Travaux publics et des Transports pour l’entretien des routes nationales et des voies navigables, ne permettaient pas d’affecter des dotations suffisantes au développement et au renouvellement de toutes les plantations, la reconstitution des alignements. Il est alors envisagée de faire appel au Fonds Forestier National (F.F.N.) pour soutenir l’effort de replantation du domaine public relevant de l’Administration des Travaux Publics. Fonds créé, dès 1946, en application du programme du Conseil national de la Résistance. Le FFN visait notamment répondre aux séquelles de guerre sur les forêts française dont une forte demande de bois liée à la reconstruction qui a fait suite à la Seconde Guerre mondiale, la Première Guerre mondiale ayant elle-même été source de forte pression sur la forêt française.

A noter le dernier paragraphe de la circulaire du 28 janvier 1949 qui précise qu’ « il doit être bien entendu que pour répondre à l’objet du Fonds Forestier National, le choix des essences portera sur des variétés productives et non ornementales. [2]»

Les années de guerre et d’occupation, tout comme les hivers rigoureux de 1944 à 1947 et leur corolaire de pénurie de bois et de charbons, ont également amené le Service de la navigation du canal du Midi à prendre une mesure de « bienveillance » à l’égard des communes riveraines de la voie d’eau, leur permettant de prélever du bois de chauffage.

Ainsi l’exploitation des platanes (écimage) est présentée par les ingénieurs du service des voies navigables comme une opération rendu nécessaire tant par l’âge de la plantation que par la nécessité de satisfaire aux importantes demandes de bois de chauffage présentées au cours des hivers rigoureux par les municipalités ou les riverains de la voie navigable. Le bois d’étêtage était alors destiné à la population, démunie de bois de chauffage.

© Véronique Mure

Mais la guerre et le déplacement des troupes n’ont pas fait qu’exploiter, sur-exploiter ou détruire sur leur passage les arbres et autres végétaux. Ils ont aussi pu, paradoxalement, faire l’inverse, enrichir notre flore, certainement à une moindre échelle… Les exemples de plantes obsidionales ou polémochores, dont le vecteur de dispersion est le déplacement de troupes en temps de guerre, sont bien connus. Ainsi fleurie autour de Verdun la laîche fausse-brize (Carex brizoides), le crin végétal, échappée des paillasses des soldats de la Première Guerre Mondiale. Une Flora obsdionalis consigne également quelques 260 plantes autour de Paris introduites, volontairement ou non, par les troupes étrangères.

Dans un registre proche, le peuplier d’Italie Populus nigra var. italica fut introduit en France en 1740 ou 45, au cœur de la guerre de succession d’Autriche, sous le règne de Louis XV, par un ingénieur en chef de l’armée française, alors en Italie, qui en apporta cinq boutures au directeur du canal d’Orléans. On connaît la suite… comment les Français se prirent de passion pour cet arbre à la silhouette élancée, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Une passion qualifiée même par l’abbé Rozier de « peuplomanie » dans son traité de l’agriculture de la fin de ce siècle.

Et dans quel registre placer l’arrivée du chancre coloré qui décime aujourd’hui les platanes du canal du Midi ?Le Ceratocystis fimbriata f.sp. platani, introduit en France lors du débarquement américain en Provence, en 1944, par le bois infecté des caisses de munition, fabriquées en platane (Platanus occidentalis).

Ce 11 novembre 2014,  jour d’hommage à toutes les victimes de la Grande Guerre et de toutes les guerres, le temps est plutôt brumeux et peut-être moins frais que le siècle dernier. Nous sommes un mardi.

Il est temps de rejoindre « Le sixième continent », de faire fleurir sur la planète cette approche collaborative des hommes entre eux, et des hommes avec la nature, esquissant ainsi une alternative au risque de guerre comme le propose Gilles Clément.

Véronique Mure

[1] Charvet (G.).- Monographie de Remoulins.- 1896 (non publié).

[2] Circulaire GPII n°18 du 28 janvier 1949, relative à l’aide apportée par le fonds forestier national en matière renouvellement et de développement des plantations situées en bordures des routes nationales et des voies navigables.

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